Eyes wide shut
Un titre en anglais, ça nous change! Et une excellente nouvelle en français signée Philippe Claudel et parue dans le hors-série estival de l'hebdomadaire "Le 1" auquel je suis abonnée et que j'ai la joie de trouver dans ma boite aux lettres chaque mercredi.
Je ne pense pas me tromper en disant que c'est la troisième année consécutive que Le 1 édite un recueil de nouvelles pour l'été. Un recueil que je m'empresse d'acquérir dès que j'apprends sa parution. D'abord parce que j'aime lire des nouvelles et que pour la modique somme de 6,90€ il n'y a vraiment pas de quoi s'en priver. Et surtout qu'en plus ces nouvelles ne sont écrites que par de très bons écrivains ! En l'occurrence les onze nouvelles de ce recueil-ci, tout beau tout bleu, sont signées par, en plus de Philippe Claudel, Véronique Olmi, Philippe Jaenada, Monica Sabolo, François-Henri Désérable, Carole Martinez, David Foenkinos, Léonor de Récondo, Lola Lafon, Olivier Adam et Kaouther Adimi.
Onze écrivains réunis pour nous parler de séduction, chacun à sa manière, chacun avec sa sensibilité, chacun avec son talent. Comme je n'ai acheté ce recueil que samedi, je n'ai lu pour l'instant que la première de ces onze histoires, celle écrite par Philippe Claudel donc et dont le titre, ô combien adapté!, est en anglais "Eyes wide shut".
Ce n'est peut-être pas si facile, pas si évident que ça de parler de séduction maintenant que la voix des femmes s'élève et se délivre des carcans dans lesquels elle se retenait prisonnière depuis des années et des années. Alors Philippe Claudel a pris le contre-pied de cette situation et nous en montre avec un réalisme effrayant ce qui pourrait en advenir si on n'y prend pas garde. Et pour ce faire, il a situé son histoire en un temps futur qu'on espère ne jamais voir survenir mais... qui sait? qui peut se targuer de connaitre notre avenir commun?...
Cette nouvelle se présente sous la forme d'un dialogue, un procès, une mise en accusation d'un homme, le prévenu, par le magistrat, uniquement parce qu'il a osé regarder la femme en face de qui il était assis dans le métro.Laquelle s'est sentie agressée par ce regard et a porté plainte.
Toute l'ironie, toute la tragédie de cette situation abracadabrante se trouve dans ce dialogue. Les faits qui sont reprochés au prévenu et la situation et les façons de faire et d'être désormais en vigueur que lui rappelle le magistrat. Avec le prévenu, on ressent la nostalgie d'une époque révolue et qui possédait bien des charmes. Une époque où d'un regard une conversation pouvait s'engager. Une époque où les gens se parlaient encore. Alors que le magistrat nous laisse entrevoir un climat froid, rempli d'indifférence, où les contacts ne sont autorisés qu'après une sélection suivie d'une approbation sur une application installée sur son téléphone portable que tous, absolument tous les citoyens se doivent de posséder.
Est-ce ce monde-là qui nous attend? Est-ce ce monde-là qu'on veut offrir à nos enfants et à nos descendants? Un univers glacial pour un monde glaçant?
J'ose espérer que non! Mais en tous cas Philippe Claudel excelle à nous le décrire!