Picciridda (Fillette)
"Picciridda", vocable typiquement sicilien qu'on ne trouve pas dans la langue italienne et qui signifie littéralement enfant, garçonnet au masculin ou fillette au féminin comme c'est le cas dans ce bouleversant roman de Catena Fiorello, paru en 2017 chez Giunti et dont un film vient d'être adapté, un film que j'espère vraiment avoir la chance de regarder!
Cette histoire se passe donc en Sicile, dans un petit village côtier entre Palerme et Trapani, au début des années 60. C'est là que vit Lucia, 11 ans, entre ses parents, son frère cadet et sa grand-mère paternelle. C'est de là aussi qu'en ce triste matin de fin d'hiver, Lucia et sa Nonnetta (grand-mère, mamie) accompagnent à la gare les parents de la fillette et son petit frère lors de leur départ pour l'Allemagne où ils espèrent trouver du travail et une vie meilleure. En Allemagne où ils souhaitent aussi faire venir très vite leur fille aînée et, peut-être, leur mère et belle-mère.
Désormais seule avec sa Nonnetta, Lucia doit alors apprendre à vivre autrement, à ne pas montrer son chagrin (ils viendront te chercher avant que tu te rendes compte de leur absence) et son incompréhension (pourquoi ses parents l'ont-ils laissée là?) face à ce qui finalement va représenter un véritable abandon.
Cette nécessité de cacher ses émotions, de faire comme si tout allait toujours bien, Lucia va grandir avec, l'acceptant et s'y pliant de plus ou moins bon gré entre l'affection maladroite que lui témoignent sa grand-mère, les voisines Emilia et Nora ses "zitelle" (tantines), son institutrice Aida et son amie Rita.
Les semaines, les mois, les années vont passer ainsi au fil des lettres que son père adresse à la grand-mère, promettant toujours de venir bientôt chercher Lucia. Un bientôt qui n'arrive jamais. Après l'espoir, l'attente, c'est la résignation que connaît la fillette. Puis la vie suivant son cours, c'est bientôt vers les hommes que son attention se porte, sentant confusément que c'est par l'un d'eux qu'elle sortira de sa condition modeste, quasi de misère. Mais comment? A quel prix? Et si son passé remontait d'un coup et l'empêchait à jamais de s'accomplir? Il est des secrets bien gardés...
Quelle histoire! Quel roman! D'une intensité extrême, jouant sur toutes les cordes de la sensibilité et de nos émotions. Avec tact et talent, Catena Fiorello nous montre la Sicile, entre ses paysages, ses collines arides, sa mer et son immensité, et sa population, la vie rude, le chômage, l'argent facile source de drames et de pertes irrémédiables, l'espoir d'un mieux, forcément ailleurs puisque ce n'est pas possible au pays. C'est la Sicile dont me parlaient mes beaux-parents, celle que mon beau-père a quitté en 1959 parce qu'elle ne nourrissait pas sa famille qui l'a rejoint en France dès que cela a été possible (au contraire de Lucia). Alors forcément cette histoire trouve des résonances en moi. D'autant plus que l'auteur nous parle d'émigration, d'éducation, de rêves, de silences, de droit des femmes, d'égalité aussi...
C'est une histoire à la fois dense et forte, puissante. Je vous l'ai dit en intro, un film a été adapté de ce roman. Je suis vraiment curieuse de son rendu. Et j'espère avoir l'occasion de le voir en compagnie de mon Cher et tendre.