Lucie ou la vocation
C'est avec ce premier roman de toute beauté "Lucie ou la vocation", paru aux éditions Héloïse d'Ormesson, que j'entame la sélection de cette nouvelle rentrée littéraire avec les 68 premières fois. Et cette petite perle de cette fin août, c'est Maëlle Guillaud qui nous l'offre.
Lucie est une jeune femme bien dans son époque. Et, elle est amoureuse, nous dit la 4ème de couv'. Mais, à mon avis, le terme n'est pas assez fort. Pour moi, Lucie aime. Tout simplement. Avec confiance. Avec patience. Infiniment. Seulement... celui qu'elle aime ainsi est inatteignable. Du moins, pour le commun des mortels. Lucie, elle, sait où entrer en communion avec son Être aimé. Au grand dam de sa mère, effrayée par cette passion qui habite littéralement sa fille confrontée également à l'incompréhension de sa grand-mère et à la colère de sa meilleure amie, Juliette.
Malgré tout, Lucie s'engage, se donne complètement à cet Être suprême à qui elle s'est vouée, corps et âme. En dépit des brimades, des humiliations, de l'isolement, elle s'abandonne et devient, aux yeux de tous, Sœur Marie-Lucie.
Ce roman, c'est celui du don de soi, du don absolu. Car, une fois la porte franchie, une fois cette porte refermée, une fois ses vœux prononcés, il ne sera plus possible pour Lucie de faire marche arrière. Ce roman, c'est aussi celui de l'engagement, d'une volonté forte, inébranlable, inattaquable face aux mises en garde, aux inquiétudes, aux interrogations, à l'incompréhension des autres, de sa famille, de ses proches. Ce roman, c'est encore celui de l'apprentissage, de ses difficultés, de ses exigences. Ce don de soi, cette vocation à Dieu, se doivent d'être total et, pour l'être, ils doivent d'abord être éprouvés, rudement, durement.
Cette lecture m'a complètement subjuguée, passionnée et interpellée. Comment en effet, de nos jours, une telle vocation peut-elle être possible? J'y ai retrouvé une qualité d'écriture, une sérénité d'écriture ressentie il y a quelques mois avec "Le Jardin des Anges" d'Alysa Morgon. J'y ai éprouvé aussi une écriture forte, violente, brutale, sidérante, qui à la fois accentue l'incompréhension et force l'admiration. Et en même temps, les questions se bousculent. Pourquoi? Pourquoi? Pourquoi?
Car ce qu'on devine plus ou moins confusément, cette abnégation, cet oubli de soi, cet "effacement" de soi ne sont pas sans nous faire penser aux moyens de radicalisation auxquels nos jeunes sont confrontés actuellement et acceptent malheureusement.
Cette vocation, est-elle vraiment celle de Lucie? N'y a-t-il pas eu, lors d'un moment de fragilité, quelque chose ou quelqu'un qui ait pu l'influencer? N'a-t-elle pas pu découvrir quelque chose, tenue cachée, secrète, jusqu'alors et qui l'ait détournée, à son insu ou pour ne pas avoir à s'y confronter, du chemin tracé pour elle?
Avec une sensibilité à toute épreuve, avec une justesse et une qualité d'écriture impressionnantes, Maëlle Guillaud nous invite à tourner les pages de ce premier roman et nous prend à témoin avec rage et sincérité. Une lecture lumineuse.