Ballon
Puisque nous sommes en plein Euro de foot, il me semble normal de vous parler de "Ballon", cette nouvelle que Catherine Fradier vient de publier chez l'éditeur numérique Ska.
De ballon rond, il est question dans cette nouvelle. D'Europe, non. De Moyen-Orient, plutôt. Dans un de ces pays en guerre, où chaque instant, chaque minute s'annonce comme le dernier. La dernière. Et c'est bien cela que va vivre Razan, jeune femme, mère de ce garçonnet qui a "oublié" son ballon sur la plage où il jouait au moment où l'alarme a sonné, signifiant un énième bombardement. Alors il a fallu courir, trouver un refuge, vite, très vite. Et plus question de penser à jouer au ballon. Pourtant, à l'abri de son modeste foyer, seul avec sa mère, ne risquant pas de s'exposer et d'exposer sa mère aux coups paternels, l'enfant réclame, l'enfant veut son ballon. Et Razan cède. Et Razan sort. Malgré le couvre-feu. Dehors, elle rase les murs, se fond dans les ombres jusqu'à cette plage où plus rien ne peut la protéger, où elle trouve un ballon, celui de son fils? elle ne sait pas mais c'est un ballon. Sur cette plage où elle se fait remarquer, où les coups de boutoir du viol collectif précèdent le coup de couteau final. Pendant que dans l'appartement, l'enfant attend. Et que son père rentre...
J'ai déjà lu des romans de Catherine Fradier. J'ai déjà eu le plaisir de la rencontrer à ma médiathèque La Passerelle, au salon Sang d'encre à Vienne (38) où elle s'est présentée, chaque fois, tout de noir vêtue, de ce noir dont elle enveloppe ses romans. De ce même noir dans lequel elle a plongé cette nouvelle. Avec ce "Ballon", elle signe un texte magistral, et nous sert tout sur un plateau : l'affection, la tendresse, l'amour qui réunit une mère à son fils et réciproquement, le courage, et la brutalité, la bestialité qui resurgit au cœur des hommes quand il n'y a plus de limites, plus de repères, que c'est marche ou crève, chacun pour soi et la loi du plus fort qui domine. Quand c'est la guerre.
Cette nouvelle, c'est un coup de poing, un coup de poignard, pour nous rappeler qu'à quelques milliers de kilomètres c'est comme ça et qu'on laisse faire, ignorant ou faisant semblant d'ignorer ces atrocités...
Cette nouvelle, c'est surtout une maîtrise absolue de ce genre littéraire.