Je meurs de ce qui vous fait vivre
Je meurs de ce qui vous fait vivre
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Plus qu'un roman, cette histoire est celle d'un parcours, d'une destinée, d'une femme presque ordinaire aujourd'hui et extra-ordinaire à la fin du 19e siècle, époque où Paul Couturiau a situé son nouvel opus "Je meurs de ce qui vous fait vivre" paru dans la collection des Terres de France des Presses de la Cité. Celle qui meurt ainsi, ou qui tente de mourir, c'est Caroline Rémy, jeune femme de 26 ans en ce printemps 1881. Suicide tenté pour dire non à la vie de jeune aristocrate (qu'elle est par sa naissance au sein d'une famille aisée, très "comme il faut") à laquelle elle doit tendre et qu'elle doit vivre en suivant un chemin tracé par d'autres, par des hommes. Caroline, elle, n'aspire qu'à une chose : devenir journaliste. Repérée par Jules Vallès, journaliste, écrivain, auteur notamment de "L'Enfant", et homme politique engagé dans la Commune de Paris en 1871, la jeune femme a commencé à écrire, poussée "au travail" par le grand homme alors en période d'exil à Bruxelles. Mais quand elle veut devenir vraiment journaliste, quand cette passion devient par trop évidente, nécessaire, sa famille dit "non". Cela ne se fait pas et encore plus au sein d'un journal fondé par un homme d'extrême-gauche. Caroline n'a alors devant elle que cette solution du suicide. Acte manqué mais cependant déterminant qui va lui permettre enfin de réaliser son rêve : être journaliste, même si elle devra lutter encore longtemps pour en obtenir véritablement le titre, se contentant d'être surtout perçue comme "le" secrétaire de Vallès. Ce roman, je vous l'ai dit, c'est celui de ce parcours hors-normes. C'est un destin de femme comme je les aime. De femmes qui luttent pour leurs idées, pour ce en quoi elles croient envers et contre tout. Le mérite de Paul Couturiau, c'est d'en faire un récit dense, précis, qui s'appuie à la fois sur l'Histoire, sur des faits vérifiés et authentiques, comme tout travail de journaliste doit l'être, en y associant son talent d'écrivain. De l'enfance de la petite Line, curieuse de tout apprendre, de tout connaître, à sa vie de jeune femme, jeune mariée, jeune mère de son fils, jeune femme séparée, délivrée de toute accroche, volontaire, obstinée et pourtant grande sentimentale, vivante, terriblement vivante, prête à tout pour devenir Séverine, celle dont on retrouve la trace dans les archives historiques, Paul Couturiau ne nous cache rien, ou l'écrit si bien qu'on tombe forcément sous le charme, sous l'exigence de Caroline Rémy. Passionnée, Caroline-Séverine l'est. C'est indéniable. Libre, elle va le devenir aussi. Pour ses idées, pour ses valeurs qui lui sont propres et dans lesquelles on se reconnait, pour ce combat dans lequel elle s'est engagée et qu'elle ne lâchera jamais, même sous la contrainte, même au péril de sa vie. Ce roman, c'est aussi et surtout celui d'une belle, d'une telle détermination qu'on ne peut que s'incliner, l'admirer, l'encourager. Et puis, il y a aussi le style, le talent d'écrivain de Paul Couturiau qui y apporte la qualité littéraire qui lui aurait certainement manqué et n'en aurait pas fait le petit bonheur de lecture que ce roman nous offre. Par sa chronologie, par ses anecdotes, par ce qui ressort de la vérité historique et ce qui vient directement de son imagination d'écrivain, Paul Couturiau nous offre un magnifique moment de lecture. On en sort instruit, grandi et heureux et, par les temps qui courent, rasséréné et apaisé. Si des êtres, des femmes comme Caroline se sont battues pour leurs idées dans des temps qui n'y étaient pas propices, que ne pouvons-nous, nous, en faire autant aujourd'hui? A méditer...