Entretien avec Georges Flipo

Publié le par Martine


1)   Bonjour Georges Flipo, pouvez-vous vous présenter? Qui êtes-vous?
Je suis, dans le monde des auteurs, ce qu’on peut appeler une vocation tardive. Je me suis mis à l’écriture quand j’ai atteint la cinquantaine.

Est-ce un handicap  ou un avantage?

Les deux.

- Un handicap, car un auteur qui vient chez les éditeurs avec son premier manuscrit sous le bras et ses premiers cheveux gris sur le crâne peut inquiéter. Un directeur de collection me l’a très bien expliqué : « Déjà, chez les auteurs, il y a le syndrome du second roman : beaucoup d’auteurs qui démarrent bien sont incapables d’aller plus loin que leur premier roman. Chez les plus de cinquante, c’est encore pire : beaucoup ont une très grande histoire à raconter, ils la mûrissent toute une vie. Quand ils l’ont écrite, ils ont fini leur carrière, ils ont tout dit ». Il est donc impératif de savoir très vite montrer une capacité de renouvellement.

- Un handicap aussi, car, quand on commence, on ne se sent pas de la famille, on se sent presque imposteur, notamment quand on rencontre des auteurs qui, dans leur majorité, avaient déjà écrit et parfois publié plusieurs romans avant d’arriver à la trentaine. On a l’impression d’avoir resquillé pour entrer.
Et les avantages ?

Le plus important, c’est justement ce besoin de se renouveler dont je parlais, il est très stimulant : on se met sous pression, on se dépêche de se construire une bibliographie. Depuis la publication de la Diablada, j’ai écrit six livres en moins de cinq ans, et j’en ai déjà publié cinq. Et cela tout en travaillant « vraiment » par ailleurs.
C’est quoi, ce « vrai travail » ?

Il est double : un travail de consultant en stratégies de communication, dont je décroche de plus en plus. Et un travail de nouvelliste pour la radio qui s’est ralenti depuis quelques mois. Ce que je remarque, c’est que le ralentissement du « vrai travail » n’a pas facilité la ponte de mes recueils ou de mes romans. Le délai d’écriture est resté le même.
Il n’y a pas d’autres avantages ?

Si, un second avantage, quand on commence tard, c’est qu’on acquiert une certaine sérénité vis-à-vis de l’écriture. J’ai vécu longtemps très heureux sans écrire. J’apprécie les bonheurs que m’apporte maintenant ma vie de nouvelliste, de romancier : j’ai de la chance, ça marche plutôt bien. Mais si demain la chance tourne, je peux arrêter d’écrire sans que ce soit l’accident de ma vie : je sais que d’autres bonheurs sont possibles.

- Et le dernier, c’est qu’on a moins d’angoisses financières une fois que les enfants ont fini leurs études : on ne se sent pas coupable d’écrire.

Pourquoi avoir écrit ce second roman "Le film va faire un malheur" sur ce thème ?

Je vais vous répondre de façon confuse, car la vérité est confuse.
Il y avait d’abord cette idée d’un malfrat qui demande à un réalisateur de l’aider  à se construire une vie de cinéma pour en faire un film très exact. C’est une des toutes premières nouvelles que j’aie écrites, la troisième, sauf erreur. Et elle était boiteuse, car trop complexe pour une nouvelle. Mais l’idée m’intéressait.

J’ai ensuite tenté d’en faire un scénario, et j’ai écrit un séquencier de 20 pages, très détaillé, avec quelques dialogues, mais je ne suis pas allé plus loin, car là l’idée était trop simple.

 J’ai ensuite commencé un roman sur ce thème, un vrai roman noir, avec description amère des mondes de la pub, du cinéma, mais il était parti pour devenir épouvantablement ennuyeux, et je l’ai vite remisé.

Mais alors, vous n’avez eu que des malheurs ?

Et je ne vous raconte pas tout. Après cette fausse piste, j’ai reconstruit l’intrigue, en y ajoutant une histoire d’impossible amitié, plus une autre d’impossible amour qui croise la première. Ça marchait mieux. J’ai peaufiné en y donnant un rôle grandissant à Clara, et tout s’est alors compliqué pour s’emboîter merveilleusement, c’est toujours comme ça quand les femmes entrent dans mes  intrigues. Je dois beaucoup à Clara.

En revanche, le leitmotiv des échanges littéraires, qui rythme les rapports entre les deux hommes, je ne l’ai trouvé qu’en écrivant : je ne savais pas de quoi leur faire parler lors de leurs rencontres.

Le ton d’humour grinçant, c’est aussi par l’écriture qu’il s’est imposé. Et heureusement, car c’est mon ton naturel.

Un dernier point : il y a beaucoup de vrai dans ce roman : c’est un roman d’humour noir, mais il décrit vraiment deux mondes professionnels, la pub et le cinéma, avec leurs excès.

Des exemples ?

 J’ai eu un copain, T.V. producer, qui a vraiment été harcelé par un truand qui s’était pris d’amitié pour lui et voulait jouer dans des films. Et la séquence du réalisateur qui, pour s’amuser, tente de jeter l’actrice dans les bras de son client est vraiment arrivée, j’en ai été témoin.

Vous m’avez expliqué le « comment », plus que le « pourquoi », non ?

Si, vous avez raison. Le pourquoi, c’était une volonté de changer d’orbite après mon premier roman « Le Vertige des auteurs ». Je voulais une intrigue plus complexe, plus tendue aussi, sans aller jusqu’au thriller. Je voulais aussi, probablement, liquider ma vie de publicitaire. C’est tout cela qui m’a guidé vers ce sujet.

Mon vrai but s’est précisé un peu à la fois : c’était d’écrire une comédie sociale, une histoire descriptive d’un milieu, qui soit  à la fois amusante et rebondissante, parfois haletante. A vous de juger si l’objectif est atteint.

Avez-vous des projets?

J’en ai plusieurs en même temps, ils ne sont pas incompatibles.

Le plus avancé, c’est un polar écrit en 2008. Un vrai polar, sur un ton légèrement humoristique, ancré dans un univers, celui des experts en manuscrits. Il est là, ou presque, je ne sais pas ce que je vais en faire. Sans doute le peaufiner. Mais ensuite ? Je ne voudrais pas brouiller ma très évanescente image, je vais peut-être le publier sous pseudo.

- Le plus excitant, c’est de voir le roman dont vous me parlez, « Le film va faire un malheur », se transformer en film qui, je l’espère, fera un malheur. Les premiers critiques (et notamment Olivier Barrot, sur France 3, Jean-Claude Perrier dans Livres-Hebdo, Magalie Vogel dans France-soir) ont eu la même réaction : ce roman, c’est évidemment un film. Je suis, comme mon éditeur, ouvert à toutes les avances. Et ça commence.

- Le plus ambitieux, c’est un quatrième roman, que j’ai commencé. Ce sera un gros roman, qui demande une grosse documentation, que j’ai maintenant rassemblée. L’intrigue est complexe, très stimulante. Mais l’écriture est ardue. Il me fait un peu peur, ce roman. Je ne voudrais surtout pas l’arrêter en cours d’écriture.

Le plus naturel, c’est de continuer à écrire quelques nouvelles, de temps à autre, mais pas forcément dans une optique de recueil qui demande des textes plus focalisés.

Et votre blog ?

J’allais l’oublier, acte manqué, évidemment. C’est le projet le plus quotidien. Activité ludique, dévorante, éprouvante. Quand j’ai mauvaise conscience, je me dis que c’est un jogging de l’écriture. Un jogging qui n’a rien de la solitude du coureur de fond : on y fait de superbes rencontres avec des fantômes qu’on finit par très bien connaître.

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D
Il y en a qui ont commencé plus tard encore, à l'exemple de Bertrand du Boucheron. Cela dit, merci pour cette belle interview, fort instructive! On se réjouit de suivre ce que va nous faire Georges Flipo. Joli coup.
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T
C'est étonnant ce fait de se sentir à part quand on a commencé à publier tard. Moi cela me rassure l'expérience ! c'est un ancrage dans la vraie vie qui fait que l'on pense que l'auteur n'est pas complètement illuminé quand il raconte des choses. Il a une certaine crédibilité, à dire, à raconter et à nous émouvoir. Plus le talent et georges n'en manque pas ! Super cette interview Martine.
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Q
Merci pour cet échange avec un écrivain que j'aime bien.Je souris quand je lis ce qu'il dit de son blog. Si je n'étais pas passée chez lui, sur ce blog, il ne me serait jamais venu à l'esprit d'acheter ses écrits.Je l'ai fait, pour "Qui comme Ulysse" et je n'ai pas été déçue. Là, je lis le roman qui vient de paraître, et je le retrouve encore. Mais je n'en parlerai que lorsque j'aurai terminé.Bonne soirée.
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K
Quel plaisir de le lire ! Merci Martine, pour tes excellentes questions à cet excellent auteur ! Un vrai régal !
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F
J'ai pris beaucoup de plaisir à lire cet interview, car j'apprécie beaucoup la sympathie de cet écrivain et les bons moments qu'il nous offre avec ces livres !
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