C'était ma petite soeur
J'ai failli commencer ce billet en prévenant "âmes sensibles s'abstenir!". Et puis j'ai changé d'avis et au contraire ai envie de vous dire à vous toutes et tous qui me suivez ici : "Allez-y! Foncez! Lisez ce superbe roman que nous offre si généreusement Yves Viollier! Il vaut tellement le coup!"
Le coup de connaître cette histoire bouleversante, triste, oui, mais porteuse de tant d'interrogations et, malgré tout, d'espoir.
Dès les premières phrases, Yves Viollier nous met en situation. "Il me semble que mon enfance a été une longue et interminable et douloureuse angine. Nous ne savions pas ce qui nous attendait (...)."
Et effectivement lorsque Jeanne et ses deux demi-soeurs Thérèse, 6 ans, et Monique, 5 ans, se retrouvent dans ce foyer de l'Assistance publique, elle n'a que 7 ans et toutes les trois n'ont pas la moindre idée de ce que l'avenir a à leur offrir. Jusqu'à présent, leur vie n'a été que ballottement d'une famille d'accueil à une autre, confrontées aux coups et aux mauvais traitements, parce que leur mère n'est pas en mesure de les élever et encore moins de les éduquer.
Là, toutes les trois, leurs valises préparées près d'elles, attendent qu'on vienne les chercher. Pour aller où? Jeanne n'en a aucune idée. Tout ce qu'elle sait et qui la réconforte, c'est qu'elle n'est pas seule. Ses petites soeurs sont avec elles.
C'est au château des Marguerites qu'elles arrivent et font la connaissance de mademoiselle Eugénie et de ses parents. Et même si elle doit aider au travail inhérent à la propriété, Jeanne le fait de bon coeur. Jamais elle n'a connu une telle chaleur humaine, un tel cocon protecteur. Comme elle le ressent.
Pourtant, le jour où un nouveau-né fait son apparition au château, quelque chose change pour la fillette. Car même si Eugénie lui affirme que cet enfant est sa petite soeur, Jeanne comprend qu'elle ne l'est pas et ne le sera jamais. Par des gestes, des attitudes, des mots prononcés à voix haute ou entendus malencontreusement, Jeanne perçoit la différence faite entre elle et ce bébé, attendu, espéré, choyé, aimé tout simplement. Elle, Jeanne, et ses deux demi-soeurs, sont et resteront toujours un pis aller, un second choix, qu'on tolère parce qu'il est utile mais pas plus.
Et quand, par hasard, elle découvre que cette "petite soeur", Charlotte, qu'on lui demande d'aimer comme telle a, elle aussi, été adoptée, le monde de Jeanne se fissure. Pourquoi une telle différence de traitement entre elles? A ce sentiment d'abandon qui l'habite depuis ses plus jeunes années, s'ajoute celui d'une injustice flagrante. Dès lors, le jour où elle en a la possibilité, à 16 ans, elle s'en va, quitte ce château où elle a cru pouvoir rester toute sa vie alors que tout n'était qu'un leurre. Mais existe-t-il vraiment sur terre une place pour Jeanne?
Dès les premières lignes, ce roman paru dans la collection Terres de France des Presses de la Cité m'a happée. Plus rien n'avait d'importance si ce n'est de suivre Jeanne et ses soeurs, de l'accompagner vers cette nouvelle vie au château, de partager avec elle ces bons moments, furtifs mais essentiels, d'être heureuse à l'arrivée de ce nouveau bébé qu'elle est prête à aimer de suite, à souffrir en silence des différences marquées, volontairement ou non, entre elles, et à chercher toujours, à se demander pourquoi, ce qu'elle a pu faire de mal qui mérite un tel traitement, à vouloir accepter cette situation sans le pouvoir (mais le peut-on seulement?) et à rester toujours en quête de ce quelque chose en plus qui n'arrivera jamais...
Je n'ai pas aimé ce roman. J'ai aimé Jeanne, eu envie de lui parler, de lui dire que j'étais là, qu'elle n'était plus seule puisque, grâce à la merveilleuse écriture d'Yves Viollier, désormais elle allait entrer dans le coeur de milliers de lecteurs. Bien sûr je n'en ai pas le pouvoir. Mais j'ai celui de vous inviter à rencontrer cette enfant, cette jeune fille, cette belle jeune femme que devient Jeanne, malgré les épreuves, malgré les souffrances, parce que l'espoir est là, toujours, et qu'il la porte envers et contre tout, face à tous.