Les Pâques du commissaire Ricciardi
En ce début de printemps 1932, une semaine avant Pâques, le corps d'une prostituée est retrouvé mort dans un des établissements dédiés les plus luxueux de Naples, le Paradiso. Cette prostituée, c'est Vipera, la plus connue et celle qui rapporte le plus à Madame Yvonne, la tenancière de cette maison close très chic et réputée. Celle qui a trouvé le corps, c'est Lily, prostituée aussi, de moins grande classe que Vipera et, peut-être, un peu jalouse ou tout au moins envieuse. Et celui qui est appelé sur les lieux du crime, c'est le commissaire Ricciardi,
Âgé d'une trentaine d'année, le commissaire pêche un peu par excès de jeunesse. Doux rêveur, on sent de suite qu'il n'a pas sa place dans cette Italie mussolinienne, ni dans cet établissement consacré au sexe et à la luxure. Lui, il vit chez sa tante Rosa, vieille dame charmante mais souffrante, et est amoureux discret de sa jeune voisine Enrica tout en étant la proie, non consentante, de la belle Livia qui n'a pas hésité à venir s'installer à Naples pour se rapprocher de celui qu'elle rêve de conquérir, Ricciardi.
Par chance, le commissaire peut s'appuyer sur l'expérience de son adjoint, le brigadier Maïone, lui-même bien informé par son indic, le troublant Bambinella, travesti très au courant de la vie napolitaine. Ricciardi a aussi sympathisé avec le médecin légiste Bruno Modo qui assure toutes les autopsies dans les enquêtes qui incombent au commissaire. De ce fait, de par leur amitié et étant lui aussi plus âgé que Ricciardi, il est le plus à même de conseiller et renseigner le commissaire sur ce qui a pu arriver à Vipera d'une part et sur la vie telle qu'elle se déroule dans les maisons closes de luxe. Or le revers de cette médaille, c'est aussi que Modo est un antifasciste convaincu qui affiche ses opinions et que la belle Livia, au contraire, n'hésite pas à faire valoir son amitié avec le Duce.
Quand il s'avère que ce n'est pas Lily qui a découvert le corps de la victime, que Vipera n'avait pas eu de rapport sexuel juste avant sa mort, les soupçons de Ricciardi se portent sur le cavaliere Ventrone, un vieil homme, voyeur qui aimait assister aux ébats de la belle prostituée, caché derrière un rideau, et payait cher pour cela, au grand dam de son fils, propriétaire d'un magasin d'objets voués au culte religieux. Mais voilà que l'enquête dévoile aussi l'existence de Giuseppe Coppola, ami d'enfance de Vipera quand celle-ci s'appelait encore Rosaria, avec qui il devait se marier et qui est toujours resté dans l'environnement proche de la jeune femme.
Dès lors, tous les ingrédients sont réunis pour nous offrir un excellent roman policier. Et c'est bien ce que fait Maurizio de Giovanni avec cette nouvelle enquête du commissaire Ricciardi, publiée chez Rivages.Après les saisons de ce commissaire, l'écrivain nous invite à le retrouver dans les fêtes, en l'occurrence ici Pâques.
C'est la première enquête de ce commissaire et le premier roman de cet écrivain italien que je lis. J'ai eu la chance de le rencontrer à deux reprises : lors d'une table-ronde organisée pendant les Quais du Polar à Lyon début avril dernier et le samedi 12 mai à l'occasion de la présentation théâtralisée de son dernier roman "Sara al tramonto" dans lequel une femme occupe le premier rang. Jusqu'alors je m'étais contentée de le lire dans des nouvelles en VO.
Je dois d'abord saluer la qualité de traduction d'Odile Rousseau qui a parfaitement rendu l'atmosphère trouble de cette enquête, liée à la période pendant laquelle elle se déroule, à son déroulement et en particulier à toutes les interrogations, les atermoiements et les tergiversations vécues par le commissaire Ricciardi.
Car, au-delà de l'enquête proprement dite avec ses évolutions, ses découvertes, ses retournements de situations, c'est aussi à l'éducation et à la construction d'un homme qu'on assiste. Tout comme Ricciardi, on apprend beaucoup sur les moeurs, les habitudes et les modes de vie de cette période trouble d'avant-guerre dans cette Italie où Mussolini s'est imposé. Avec Ricciardi, on doit faire attention tout en allant au bout de son raisonnement et des avancées de l'enquête. La prudence est de mise et pourtant le commissaire ne cède pas et va au bout de ses convictions aux dépens de sa vie peut-être, de celle de ses amis sûrement. Et tout cela en gardant cette part d'humanité essentielle et en allant à la rencontre d'émotions et de doux sentiments à exprimer et à vivre.