Le tablier bleu
Louise est une femme simple, qui a vécu comme ça, sans y penser, croyant, comme beaucoup d'entre nous, que la vie serait toujours ainsi, que rien ne s'arrêterait jamais.
Mais un jour, elle se retrouve enfermée dans une maison qui n'est pas la sienne. Comme un vulgaire paquet, on lui colle un numéro, le 14313, et c'est avec ce numéro qu'on l'identifie à présent.
Vous l'avez compris. Louise est une vieille dame à qui sa santé fragile ne permet plus de vivre seule. Alors on l'a placée là, dans cette maison de retraite où les jours passent, les uns après les autres, sans que rien ne vienne troubler leur monotonie et leur ennui.
Pourtant dans sa tête, Louise s'évade. Les souvenirs affleurent, sentent bon ou réveillent d'anciens espoirs, d'anciennes angoisses, d'anciens rêves aussi. Ce qui la fait tenir, Louise, c'est son tablier bleu. Celui qu'elle a toujours porté, les usant jusqu'à la trame, l'un après l'autre. Ce tablier qui fait son identité, sa reconnaissance. Aussi, le jour où elle ne le reconnait plus, ce tablier bleu, Louise perd pied. Elle ne sait plus qui elle est et pourrait se perdre, se noyer vraiment, si une main ne surgissait pas, enfin, pour la retenir, la raccrocher un peu à la vie, lui apporter un souffle d'espoir...
Ce texte de Martine Laffon paru chez Syros m'a profondément émue. Empreint d'une grande poésie et d'une immense délicatesse, il ose aborder des thèmes qui dérangent. La vieillesse, la perte de l'autonomie et ses conséquences, la folie aussi y sont traités avec tact et simplicité comme pour nous aider à garder les yeux ouverts, rester vigilant...
En quelques pages, je me suis laissée prendre au charme de Louise, son espièglerie, sa tendresse, ses colères et ses incompréhensions. Louise, c'est la vie et, en même temps, c'est la mort qu'elle appelle comme une délivrance, pour la sortir de cet endroit si triste où elle n'a pas demandé à vivre. Si bien que sa rencontre avec cette belle inconnue qui la ramène en des temps plus doux nous trouble et nous laisse un sentiment diffus de paix. Comme si Louise s'amusait à veiller sur nous. Encore un peu. Une dernière fois?...