La dentellière des prés
A chaque fois que je parle d'un roman de ma chère Alysa Morgon, j'ai l'impression de me répéter. Et pourtant je vois pas d'autre façon que de commencer cette présentation par :
Il est des lectures qui font du bien au moral, des lectures que l'on pense faites pour nous, qui tombent pile au bon moment dans notre vie (et pas seulement de lectrice ou de lecteur!), des lectures ou plutôt des histoires que l'on prend un tel plaisir à écouter qu'on en ressort grandi, rasséréné, réconforté et qui nous aident à garder la tête hors de l'eau et nous poussent même à avancer!
Le dernier roman d'Alysa Morgon est de ceux-là et bien plus encore, un vrai coup de coeur! C'est d'abord une couverture attirante au possible, comme seules les éditions Lucien Souny savent nous en offrir. Une couverture qui respire le printemps, l'été, les beaux jours. Une couverture aux couleurs de cet espoir qui, bon gré, mal gré, s'obstine à revenir sans cesse, surtout quand on pense être complètement découragé.
Le dernier roman d'Alysa Morgon, c'est ensuite cette première page qu'on découvre et qui, dès les premiers mots, dès les premières phrases, nous emporte. Et il n'y a plus qu'à écouter cette histoire bouleversante née de l'imaginaire poétique d'Alysa Morgon et que l'écrivain nous offre en toute simplicité par la seule grâce de son incroyable talent de conteuse, où transperce son amour inconditionnel pour sa belle Provence.
Dès sa naissance, en cette fin de 19e siècle, Armande est rejetée. Par sa mère qui se désintéresse complètement d'elle et par son père qui a bien mieux à faire ailleurs. Son enfance et sa jeunesse, Armande les passe avec pour seules compagnies, celles de sa gouvernante Magali, de son amie Alaïs et bientôt de Jean pour qui la jeune femme éprouve une tendre attirance partagée. Ce qui n'est pas du goût de son père qui préfère la marier à Maurin Bellon, riche propriétaire terrien, veuf, à la réputation d'homme violent et cruel. Ce qui s'avère très vite vrai et accentue encore le malheur d'Armande.
Si la naissance de son fils, Clovis, lui apporte quelque réconfort, une deuxième grossesse la plonge dans l'épouvante. Car Maurin ne veut pas de fille chez lui promettant de tuer de ses mains l'enfant qui naîtrait de sexe féminin.
Aussi quand, après avoir accouché dans les bois, Armande revient seule à la ferme, Clovis ne peut s'empêcher de l'interroger. Pas longtemps pourtant car, dès lors, Armande commence à déraisonner, s'adressant à son "ange", Angèle, quand elle se croit seule. Et davantage encore après la mort accidentelle de Maurin, quand, libérée de cette violence continuelle, elle se met à tresser des fleurs sauvages en couronnes qu'elle va vendre sur les marchés tandis que Clovis poursuit le travail de la terre sur la propriété de son grand-père maternel dont il a hérité.
L'histoire pourrait s'arrêter là. Mais ce serait sous-estimer l'écrivain conteuse. Et voilà qu'un jour arrive au village un saisonnier, Gabriel, accompagné de sa fille de 15 ans, Angeline. Cet homme brave et honnête, Clovis s'empresse de l'engager pour le seconder, ressentant en même temps une tendresse particulière pour sa fille. Le bonheur pourrait-il dès lors s'inviter chez Armande, devenue Mandoue depuis la mort de son mari? Cela se pourrait bien mais peut-être pas de la façon dont on pourrait l'imaginer...
Je ne pense pas avoir besoin de vous dire à quel point cette histoire m'a bouleversée, émue bien au-delà des mots. Outre le fait que l'auteur nous rappelle à quel point il ne faisait pas bon naître fille il y a encore quelques décennies en France et dans nos campagnes, Alysa Morgon s'attache à nous montrer les conséquences d'une situation donnée, tenue secrète par la force des choses, ses effets sur la vie des personnes qui y sont liées par voie de fait ou sans le savoir. Je partagerai juste les mots que prononce Gabriel à un certain moment, ces mots qui m'ont touchée au coeur : "Tout cela, et j'en oublie, n'est que violence. C'est pourquoi, aujourd'hui, cela suffit! Il faut la vider de notre coeur! On ne peut plus se reprocher ce que nous avons fait ou pas fait. Nous avons tous fait quelque chose, mais nous l'avons fait du mieux que nous avons pu, et comme nous pensions qu'il nous fallait le faire, tout en restant honnêtes, sincères, et avec tout notre amour!"
Et je m'arrêterai là parce que le mieux que vous ayez à faire à présent, c'est de partir à la rencontre de cette inoubliable "dentellière des prés".