La punition qu'elle mérite
J'avais laissé l'inspecteur Lynley au moment où, sous la plume de l'écrivain Elizabeth George, il perdait sa chère épouse tendrement chérie, Helen. Et, depuis, je n'avais plus eu envie de le lire à nouveau, sa peine, son chagrin étant trop dur à supporter pour ma sensibilité de lectrice.
Seulement voilà, quand on apprécie une série, ses protagonistes, la manière-même dont ils se comportent et celle avec laquelle ils résolvent des enquêtes ô combien ardues et emmêlées, il arrive toujours un moment où l'envie de les retrouver est la plus forte. Et encore plus quand la quatrième de couv' de leur dernière énigme est une véritable invitation à retrouver l'écriture aguerrie de son auteure. Alors bienvenue en Angleterre, dans les locaux de Scotland Yard à Londres et dans ceux beaucoup moins reluisants du poste de police de Ludlow où la commissaire Isabelle Ardery et le sergent Barbara Havers se rendent afin de voir s'il y a lieu de rouvrir l'enquête sur la mort par suicide du diacre Ian Druitt lors de son arrestation suite à une accusation pour pédophilie.
Ce qui, à première vue, ne semble pas nécessaire. Tout porte à croire que le diacre s'est bel et bien pendu dans la salle d'interrogatoire où il est resté isolé pendant que le seul îlotier en activité ce soir-là, Gaz Ruddock, sortait faire la tournée des bars pour ramener chez eux les jeunes étudiants trop saouls pour le faire eux-mêmes.
Mais, si les quelques interrogatoires auxquelles se livrent les deux femmes sur place paraissent satisfaire la commissaire Ardery, pressée de rentrer à Londres, il n'en est pas de même pour le sergent Havers qui relève certaines approximations dans les récits successifs de l'îlotier et, surtout, se demande pourquoi il est passé dix-neuf jours entre le signalement pour pédophilie et l'arrestation du diacre, justement un soir où l'îlotier était seul en service et débordé.
Il n'en faut pas plus pour que l'enquête soit rouverte et confiée à l'inspecteur Lynley et au sergent Havers, la commissaire ayant été mise sur la touche pour ne pas avoir cherché d'explication et tenté de passer sous silence cette période d'inactivité entre les deux dates.
Les tenants et les aboutissants de cette enquête vont très vite se révéler complexes et difficiles à comprendre et démêler, d'une part parce que plusieurs personnes s'y retrouvent impliquées : trois étudiants qui vivent en colocation, une pédiatre et sa famille en deuil de leur seconde fille, un club de dames amatrices de vols en planeur et parmi elles la vice-constable Freeman, supérieure hiérarchique de l'îlotier Ruddock, lui aussi dans le collimateur de la police.
Et d'autre part parce qu'aucun d'entre eux n'a la conscience tranquille, qu'aucun ne dit vraiment la vérité, que tous ont des valises plus ou moins lourdes à porter qui les empêchent de coopérer pleinement et que tous, soyons clairs, n'en ont plus rien à faire de la mort du diacre, eut-il été le saint homme que sa famille et les journaux veulent à tout prix croire ou faire croire...
Que dire sur ce roman, encore une fois finement ciselé par Elizabeth George. Que le motif d'inculpation m'a forcément interpellée au regard de l'actualité récente. Mais aussi que le bon fil sur lequel tirer pour démêler cet écheveau était sacrément bien caché et, pour moi, impossible à voir avant les 50 dernières pages (de ce roman qui en compte quelques 660!), que les caractères et comportements de chacun y sont finement analysés, chacun ayant une bonne raison d'être coupable mais pas forcément celle d'être un assassin. Et puis encore que j'ai beaucoup apprécié les atmosphères rendues par Elizabeth George, ses descriptions de Ludlow et de sa campagne, certaines situations pleines d'humour, d'autres plus dramatiques à l'image des ravages que crée l'alcool chez les jeunes mais aussi dans la vie de la commissaire, et, bien évidemment, le plaisir de retrouver Thomas Lynley et Barbara Havers dans leur relation de confiance, de complicité et, disons-le, d'amitié. Même si...
Une histoire forte, puissante, entre sensibilité et violence, que je vous invite vivement à lire pendant que, moi, je vais remonter le temps et reprendre ma lecture là où je l'avais interrompue parce que... voilà quoi!
Je compte cette lecture pour le challenge Polars et thrillers chez Sharon.
La punition qu'elle mérite. Elizabeth George. Presses de la cité. Collection Sang d'encre.