La congiura
Rien ne vaut une excellente nouvelle d'Andrea Camilleri pour s'enlever la morosité de la fin de week-end et se donner envie d'entamer la nouvelle semaine avec un peu plus d'enthousiasme que le gris du ciel ne nous le laisse envisager.
Cette nouvelle, la Congiura (la conjuration), est parue dans le recueil Gran circo Taddei et altre store di Vigata (Grand cirque Taddei pour la version française éditée chez Fayard).
En cette année 1930, en plein sous le régime fasciste, Francesco dit Ciccino Firrera est un modeste tailleur ambulant qui, tous les trois mois, s'arrête dans la ville sicilienne de Vigata, pour présenter aux dames de la haute bourgeoisie les derniers modèles créés par la talentueuse couturière palermitaine Stella Del Pizzo. Modèles que toutes ces dames rêvent de porter et qu'en sa qualité de tailleur il est à même d'ajuster à leurs mensurations afin d'en finaliser la vente.
Cette situation aurait de quoi éveiller les suspicions de n'importe quel mari si Ciccino n'était doté d'un physique absolument repoussant. Non seulement il est velu pire qu'un singe, mais il a le corps court et trapu, des jambes fortement arquées, un visage rond, le front bas, une épaisse chevelure frisée et un strabisme aggravé. En bref, il est la laideur personnifiée. Son seul "atout" se trouve dans la couleur de ses yeux, d'un tendre bleu, qui lorsqu'on arrive à capter son regard dévoilent leur extrême douceur.
En ces premiers jours d'été 1930, Ciccino arrive à Vigata et commence comme d'habitude sa tournée auprès de ces dames. Or voilà qu'au cours d'un essayage, sa plus belle cliente est prise d'un étourdissement causé par les premières chaleurs estivales et tombe dans les bras de Ciccino qui se révèle alors le plus doux, le plus attentif et le plus passionné des amants.
Prise de remords, la belle dame ne peut s'empêcher de se confier à la présidente de l'association des femmes fascistes qui voit là une excellente façon de rompre son ennui et pimenter ainsi sa vie. Or, malgré une mise en scène lourde de sens, Ciccino ne cède pas à ses avances et, pire même, lui fait l'affront de la repousser. Ce qui bien sûr froisse irrémédiablement sa susceptibilité et attise encore son ressentiment quand elle apprend successivement que quasi toutes les clientes de Ciccino ont connu, au moins une fois, le grand frisson dans ses bras.
Dès lors la belle présidente à la vanité bafouée n'hésite pas à dénoncer Ciccino au parti comme un redoutable communiste piétinant volontiers l'honneur des hommes de la commune, tous fascistes convaincus. Mais alors qu'elle guette l'arrestation du pauvre Ciccino, la situation change du tout au tout. Et s'il existe bien une conjuration, ce n'est pas celle qu'on pourrait croire!!!...
Et voilà comment passer une excellente soirée en compagnie de ces personnages portés par la langue truculente et savoureuse de mon cher Camilleri. Le cocasse des situations, l'humour omniprésent et le regard plein de lucidité sur les comportements humains que nous offre à voir l'écrivain apportent une qualité supplémentaire à cette histoire. Un très très bon moment de lecture à renouveler avec les sept autres nouvelles qui composent ce recueil!