Bouche cousue

Publié le par Martine

Bouche cousue

C'est l'histoire d'un couple ordinaire, comme des milliers d'autres. Flora travaille dans une grosse entreprise confrontée aux rachats successifs par des groupes plus importants les uns que les autres. Ce qui est souvent associé à des compressions de personnel, synonymes de licenciements. Lui est professeur de français en lycée. Lui, c'est Tintin. Il a perdu son prénom depuis que Flora l'a affectueusement surnommé ainsi. 

C'est l'histoire d'un couple ordinaire qui n'a plus vraiment grand chose en commun, même pas leur lit qu'il est seul à occuper depuis que Flora préfère dormir sur le canapé du salon. Jusqu'à ce fameux soir, celui de la grande explication comme il l'appelle, où Flora lui annonce qu'elle part, qu'elle s'en va vivre ailleurs avec... ce collègue de travail, ce chef qu'elle appelait jusqu'à présent "l'affreux jojo", elle qui a toujours ressenti le besoin de renommer les personnes de son entourage, ses proches.

C'est l'histoire d'un homme, appelons-le Tintin, que l'annonce du départ de sa femme laisse sans voix. D'un coup, en un instant, il n'a plus de mots, plus de souffle. Il ne peut plus du tout parler. 

C'est l'histoire d'un apprentissage. Celui que l'on doit faire lorsque notre univers bascule et qu'il faut composer avec cette nouvelle situation et apprendre à vivre autrement. Lui, dont la vie a changé de cap et qui est devenu à présent "l'affreux jojo" dans les mots de Flora, doit d'abord s'habituer à ne plus s'exprimer que par écrit, dans le petit carnet qui ne le quitte plus et dont il déchire les pages les unes après les autres au fur et à mesure de ses conversations. Il doit réorganiser sa vie, son temps libre que lui laisse son congé maladie puis les vacances scolaires qui suivent. Réorganiser aussi son espace de vie, son appartement sans Flora, sans les effets de Flora, sans ce rouge à lèvres que Flora, qu'il a renommé Cruella, a oublié sur la tablette de la salle de bains...

C'est l'histoire d'un homme comme on n'en fait plus, un doux rêveur que la vie malmène. Un homme qui n'a plus de mots à exprimer, sauf quand il doit défendre la place des hommes dans une société où celle des femmes en prend de plus en plus. Sauf aussi pour répondre à cet oiseau qui vient lui demander, lui chanter, de laisser sa fenêtre ouverte sur le monde...

Ce court roman, c'est ma chère Isabelle Minière (mais pouvait-il en être autrement?) qui l'a écrit. C'est avec ses mots, avec son écriture unique et si sensible, si douce et si vraie, que j'ai passé ce délicieux moment de lecture. C'est dans ses mots, dans ses lignes où l'humour n'est jamais absent, que j'ai souri, que j'ai aimé rencontrer Félix (mais aurait-il pu s'appeler autrement?) cet homme sensible et un peu poète, cet homme qui fait ce qu'il peut, comme il le peut et avec les  seuls moyens dont il dispose pour affronter ce cataclysme qui vient bouleverser sa vie et qui doit apprendre à aller au-delà, à grandir différemment de ce qu'il avait envisagé.

Loin d'être un roman sur la dépression, même si on y pense forcément, ce petit livre d'une centaine de pages d'Isabelle Minière, paru dans la collection Sentinelle du Verger éditeur, est au contraire un formidable message d'espoir rempli d'optimisme. Un de ces romans qui nous font nous sentir bien et confiants dans la vie quand on en vient à le refermer...

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