Une longue impatience
Chaque lecture, chaque roman est synonyme de rencontre, d'émotions, d'histoire singulière ou collective à partager. Parfois il arrive que l'un d'eux te fasse envie parce que tu as lu ici et là un enthousiasme impressionnant à son encontre. Et crée chez toi une peur irrépressible, le besoin impérieux d'attendre le bon moment pour l'approcher, l'ouvrir et t'y plonger. Par respect pour l'auteur, pour ne pas manquer ce rendez-vous auquel elle t'invite. Par respect aussi pour cette femme, debout sur un rocher, face tournée vers l'immensité de la mer. En attente.
Cette femme, c'est Anne, veuve du marin Yvon Le Floch, mère de Louis, et remariée à Etienne Quémeneur, pharmacien avec qui elle a eu deux autres enfants, Gabriel et Jeanne, et est passée du statut de simple femme de marin à celui, beaucoup plus envié, d'épouse d'un des notables les plus en vue de cette bourgade bretonne juste après la fin de la Deuxième Guerre mondiale.
Cette femme qui attend, c'est Anne. Et elle attend le retour de Louis, disparu, embarqué en mer à 16 ans après la gifle de trop que lui a lancé Etienne. Etienne, amoureux fou d'Anne, qui par peur de contrarier ses parents n'a pas osé avouer cet amour à Anne avant son mariage avec Yvon. Etienne qui a attendu le temps nécessaire pour épouser Anne et dont le coeur n'a pas été assez grand pour y inclure son fils premier-né.
Cette femme, c'est Anne qui attend, jour après jour, semaine après semaine, mois après mois, année après année, le retour espéré de Louis. En vain. Elle a beau guetté l'horizon. Elle a beau faire des plans sur la comète pour le jour de fête qu'elle organisera au retour de son fils aîné. Elle a beau interrogé les équipages des bateaux qui rentrent au port régulièrement. Elle a beau écrire des lettres remplies d'affection à son fils. Louis ne rentre pas.
Et la vie passe, les souvenirs se rappellent à son esprit, heureux ou tragiques. Anne reste présente pour Gabriel et Jeanne, pour Etienne à qui elle rend une part de cet amour trop grand pour elle. Mais, dans son coeur, au plus intime, c'est vers Louis qu'elle est tendue. C'est Louis qui lui manque atrocement. C'est de Louis dont elle ne peut accepter la disparition. L'absence.
J'ai lu ce roman de Gaëlle Josse, paru le 4 janvier dernier aux éditions Noir sur Blanc Notabilia, cette semaine. Sans vraiment savoir comment, ni pourquoi, ou peut-être en sachant trop bien pourquoi, quand j'ai choisi ma nouvelle lecture, c'est vers lui que mon bras s'est tendu. C'est lui que ma main a saisi. C'est dans ses pages, dans ses mots, dans cette écriture si belle, si élégante, si fine, si... que je me suis perdue, que je me suis laissée emporter, portée par ce récit incroyable, cette attente éternelle, cet amour fou et infini d'une mère pour son fils, pour son enfant, né d'elle et et ancré dans son coeur pour l'éternité.
Cette Longue impatience, je l'ai partagée, je l'ai ressentie aussi au plus profond de mon coeur de mère et de femme. Il est des romans qu'on ne peut pas lire comme ça, des romans qui s'imposent soudainement, qu'il faut savoir attendre aussi pour en savourer toute la teneur, toute la grandeur que leur auteur nous fait partager. Cette semaine, cette Longue impatience a été la mienne. Et, à mon tour, je vous invite à la vivre.