Les arbres ont aussi leur histoire
Ouvrir un roman d'Alysa Morgon est toujours synonyme de bonheur de lecture à savourer. Son dernier roman, Les arbres ont aussi leur histoire, paru dans la belle collection Le chant des pays des éditions Lucien Souny, confirme cet adage avec élégance et majesté.
Il y a d'abord l'objet "livre" en lui-même avec sa superbe couverture (à l'image de celles que les éditions Souny ont l'habitude de nous présenter pour chacun de leurs romans). Ces arbres qui tendent vers ce ciel uniformément bleu nous attirent irrémédiablement vers des hauteurs qu'on ne peut que souhaiter atteindre. Il y a ensuite la magnifique et sensible dédicace qu'y signe l'écrivain Françoise Bourdon. Des mots amicaux et respectueux auxquels on ne peut qu'adhérer.
Et puis il y a l'histoire, cette histoire qui commence en Italie en 1871 dans ce petit coin de Lombardie où la misère et la pauvreté contraignent Gabriella à abandonner ses fils Marco et Teobaldo à l'orphelinat, espérant pour eux une vie et un avenir meilleurs que ceux qu'elle pourra leur assurer. Cet avenir que Teobaldo, jeune marié à Anita, va finalement venir chercher en France, en Provence, à Contardon sur le plateau de Terre-Vieille, en emportant avec lui quelques pousses de peupliers lombards, les "pioppi" qu'il plantera sur sa nouvelle terre pour ne jamais oublier leur Italie natale.
Une tradition que va vouloir perpétuer après eux Cesario, fils de Teobaldo et Anita, en plantant à son tour une branche de peuplier sur le champ de Sauveterre qu'il vient juste de s'offrir à quelques distances de la propriété familiale, pour y semer son blé. Cet arbre, ce peuplier, il l'offre à sa fille unique Rosie, juste après la mort de son épouse bien-aimée, Jeannette, en lui faisant promettre d'en prendre toujours soin car cet arbre va grandir, s'élever vers les hauteurs du ciel et, si elle sait l'écouter, il lui parlera de sa mère disparue.
Et il ne croit pas si bien dire, Cesario. Car ce peuplier, baptisé Pioppolino par Rosie, en grandissant va gêner le propriétaire voisin, Ruat, qui, profitant du voyage de Cesario en Italie pour les obsèques de son oncle Marco, tente d'abattre cet arbre qui recouvre son champ de melon de ses fleurs de duvet blanc cotonneux. Mais quelles ne sont pas sa stupeur et sa crainte en découvrant quelques jours plus tard que Pioppolino s'est redressé et a repris sa montée vers le ciel! C'est sûr il y a là quelque chose d'inquiétant, de la magie, un effet du diable selon les uns, ou du bon Dieu selon les autres! En tous cas, cette histoire met le village en émoi, qui derrière l'avis du maire, qui derrière celui du curé! Pioppolino est-il une émanation de Satan ou un messager divin? Et si, au lieu de s'affoler, de s'opposer, on l'écoutait enfin? Et si on écoutait vraiment ce que Pioppolino murmure dans le bruissement de ses feuilles?...
Je n'en dirai pas plus sur cette histoire merveilleuse dans tous les sens du terme. La seule chose à faire étant de suivre Alysa Morgon à travers ces pages, de s'imprégner de son écriture, cette façon si particulière qu'elle a de nous raconter, conter, sa Provence avec cette musicalité qui la caractérise, cet accent chantant qu'elle nous restitue, ces expressions provençales qu'elle glisse au coeur d'un dialogue et qui nous font sourire ou nous émeuvent.
Et puis il y a ce message que j'ai trouvé, ressenti, éprouvé en lisant l'histoire de Pioppolino. Pourquoi cet arbre, ce peuplier qui puise dans la terre cette énergie, cette force, cette vie qui le fait pousser si haut, toujours plus haut, au point qu'il faut l'étêté régulièrement? Peut-être, et c'est simplement mon avis, pour nous montrer indirectement qu'il est important pour nous de connaître nos racines pour savoir qui nous sommes, où l'on va et y aller bien, droit ou pas tout à fait. Ces racines que Gabriella a coupé, malgré elle, en abandonnant ses deux fils. Ces racines que Teobaldo replante au moment de commencer sa vie dans ce pays nouveau. Ces racines que Cesario transmet à sa fille à son tour en lui demandant de ne jamais les oublier tout en les faisant siennes et en les perpétuant à son tour. Ces racines encore que Marco rappelle aussi par-delà la vie...
Après avoir refermé ce roman, l'émotion perdure. Il ne peut en être autrement. Car c'est une magnifique histoire de vie, authentique et pleine de poésie, qu'Alysa Morgon nous fait partager. Et on ne peut qu'y être sensible. Forcément.