Maternité
Quand j'ai lu le dernier roman de Françoise Guérin, "Maternité" paru aux éditions Albin Michel, nous étions fin juillet, mes vacances allaient commencer et j'étais à même de recevoir cette lecture profonde, lourde, souvent froide voire glaçante et en même temps terriblement prenante, essentielle et même vitale.
Clara est une jeune femme qui a tout réussi dans sa vie jusqu'à présent. D'excellentes études, un travail de directrice financière en accord avec ses compétences professionnelles, un mariage satisfaisant avec Frédéric, professeur de français passionné de poésie. Bref. Une belle vie que beaucoup pourraient lui envier et que Clara qualifie d'ordinaire. Tout comme elle se considère elle aussi comme une femme ordinaire.
En fait il ne lui manque qu'un enfant pour avoir la vie parfaite, idéale, des gens que tout le monde s'accorde à nommer "normaux".
Cet enfant, cela fait deux ans que Frédéric lui demande de le faire et maintenant que Clara se déclare prête, le voilà qui hésite, qui doute. Pas longtemps heureusement. Et voilà Clara enceinte. Et voilà Clara prête à recevoir les félicitations d'usage, portée par la félicité que tout le monde lui accorde. Sauf que ce n'est pas ce qu'elle ressent. En femme habituée à compter, à mesurer, à jauger, à analyser, Clara vit sa grossesse comme une nouvelle fonction. A 3 mois, elle doit éprouver ceci. A 6, ressentir cela... jusqu'à la naissance où, malheureusement, la rencontre avec sa petite fille, le déclic de la fibre maternelle, le bonheur tant annoncé n'est pas au rendez-vous. Rien. Clara ne ressent rien pour ce bébé. Peut-être faut-il alors attendre un peu, quelques jours, pour qu'enfin l'affection, l'amour qu'elle est censée éprouver pour ce petit être né d'elle, de son corps, se manifeste.
Mais rien. Avec des gestes froids, dénués de sentiment, Clara apporte à sa fillette ce qu'elle estime essentiel pour sa survie. Et de compter, peser, mesurer tout ce qui concerne l'enfant, son poids, sa taille, les quantités ingurgitées. Tout ce qu'en qualité de directrice financière, elle sait faire le mieux finalement.
Sauf que ce détachement, cette absence de sentiment qu'elle essaie de cacher sous cette apparente efficacité maternelle n'échappe pas à Frédéric, ni à son entourage proche et les commentaires, les réflexions commencent à affluer et, venant de Frédéric, de plus en plus même. Jusqu'à cette séparation qui apparaît comme la seule solution possible dans l'intérêt même de l'enfant?...
Je ne vous cache pas que cette lecture m'a profondément remuée, moi pour qui la maternité est allée de soi. En fait je me suis plus ou moins reconnue dans l'entourage de Clara. Pas dans ces "diktats" qui font ressortir là encore une sorte de calcul (ressentir ceci à ce moment-là, éprouver cela à tel autre) qui finalement pourrait convenir à Clara. Mais dans l'attente qu'ils ont d'elle, de cette fibre maternelle qui doit s'installer dès la grossesse ou tout au moins à la naissance.
Je vous concède alors que j'ai eu du mal à entrer en empathie avec Clara, ayant de plus beaucoup plus d'affinités avec Frédéric. J'ai eu du mal à la comprendre, à comprendre ses réactions, ses façons d'être, de faire, son malaise qui occupe de plus en plus de place jusqu'à tout recouvrir porté par ses souvenirs qui n'en finissent pas de venir la hanter.
Et puis finalement j'ai compris et accepté Clara pour ce qu'elle est vraiment. Une femme en souffrance, une femme avec son histoire familiale, personnelle, une femme qui a tellement bien régenté et ordonné sa vie qu'il lui est impossible de la donner. Non pas parce que ce nouvel être viendrait bouleverser l'équilibre fragile qu'elle s'est créé mais par refus inavoué de transmettre "sa" vie, cette vie dont elle s'accommode au prix de trop lourds silences.
De Françoise Guérin, je pense avoir lu tous les ouvrages, romans et recueils de nouvelles. Aussi lorsqu'elle m'a proposé de recevoir son dernier opus, j'ai accepté avec grand plaisir. Ne sachant pas qu'il allait m'entraîner vers des recoins bien fermés de mon coeur de mère, ni qu'il allait autant me questionner, autant m'émouvoir et me mettre à l'écoute de cette jeune femme qui se veut ordinaire et qui finalement, et heureusement, n'est qu'un être singulier comme nous le sommes tous.
Un roman fort et attachant qui ose montrer la maternité pour ce qu'elle est, non pas l'accomplissement idéal de toute vie de femme, mais une belle histoire de transmission qu'on choisit de vivre. Ou pas.
Le tout porté par la belle écriture de Françoise Guérin, une écriture simple et efficace, que j'ai toujours grand plaisir à suivre.