Une journée particulière
Cela faisait longtemps que je voulais revoir ce superbe film d'Ettore Scola "Une journée particulière" interprété par Sophia Loren et Marcello Mastroianni. Le thème de ce dimanche pour notre mois italien "Al cinema" m'en a offert l'heureuse occasion.
En ce 8 mai 1938, Rome est en effervescence à l'occasion de la venue dans la capitale italienne du Führer invité par le Duce en présence du roi Victor-Emmanuel. Cela fait bientôt 16 ans que Mussolini a pris le pouvoir en Italie et impose sa dictature fasciste et cette rencontre avec Hitler s'avère capitale pour la suite de notre Histoire. Tous les Romains se doivent d'y assister. Enfin... presque tous...
Car Antonietta, déjà mère de six enfants et qui espère en avoir bientôt un septième pour obtenir l'aide promise par le Duce aux familles nombreuses, n'y va pas, elle, pour cause de trop de ménage, de rangement et d'entretien à effectuer dans l'appartement familial. Seuls, son mari Emanuele et les enfants s'y rendent, la laissant à ses occupations de digne mère au foyer.
Pourtant, seule, dans l'immeuble complètement déserté par ses occupants, Antonietta ne l'est pas vraiment. Sont aussi restés la concierge et Gabriele, un homme travaillant chez lui, locataire depuis deux mois et avec qui Antonietta va faire connaissance lorsque son mainate va s'échapper par la fenêtre laissée entrouverte et trouver refuge chez Gabriele.
Une histoire singulière va alors s'instaurer entre eux deux. Une histoire faite de silences, de non-dits, de malentendus, de confidences et de sensualité. Une histoire également entrecoupée par les visites de la concierge qui prévient Antonietta contre cet homme, de mauvaise réputation, aux moeurs troubles, un homme qui refuse le régime fasciste et dictatorial du Duce, à ses risques et périls, et ne va pas hésiter à confronter cette mère de famille soumise et obéissante à sa propre condition de femme et d'être humain, digne et cultivée.
Ce film est, à mes yeux, une pure merveille. Je l'ai vu une première fois lorsque j'étais lycéenne, à l'âge de 16 ou 17 ans. Le revoir hier m'a profondément bouleversée. Sans doute, la première fois, suis-je passée à côté de beaucoup de choses tout en les devenant instinctivement. Ah! la scène où Gabriele met un livre entre les mains d'Antonietta. Je pense qu'à elle seule elle pourrait résumer parfaitement tout le film. Mais ce serait faire abstraction de tout le reste, tous ces messages que Ettore Scola y fait passer. La fascination que le Duce a su imposer aux Italiens (par la force et la cruauté certes, mais aussi par cette volonté de puissance et d'omnipotence qu'il a su distiller dans les esprits en promettant et donnant du travail à tous les hommes, même s'ils devaient partir loin pour cela...) La sensation, inavouée, pour Antonietta de se sentir femme et ne plus être seulement l'objet passif de reproduction que lui impose d'être son mari. Quelle superbe scène, pleine de sensualité quand, étant quand même informée de l'homosexualité de Gabriele, Antonietta lui fait l'amour seulement par des baisers. Et bien sûr il y a aussi cette question douloureuse et sensible de l'homosexualité, masculine ici, qui doit s'imprégner de honte, qui fait des sous-hommes et qu'il faut annihiler à tous prix.
Et tout cela en l'espace d'une journée...
Un pur chef d'oeuvre du cinéma italien que cette "Journée particulière"!