Les grandes jambes
Marion a toujours été grande. Mais depuis qu'elle est rentrée au collège, cela empire. C'est bien simple, entre deux visites chez le pédiatre, elle a pris 7 centimètres! Et, à 12 ans, elle mesure déjà 1,70m. En se fiant sur le principe qu'il faut multiplier par deux sa taille à 2 ans pour connaitre celle qu'on aura à l'âge adulte, Marion a donc calculé qu'elle s'arrêtera de grandir lorsqu'elle aura atteint 1,78m. Mais pour l'instant, elle grandit toujours et est même la plus grande de sa classe. Ce qui l'ennuie et la complexe particulièrement. Aucun vêtement ne lui va. et si elle arrive à s'arranger pour les hauts en trichant un peu sur les manches, il n'en est pas de même pour les pantalons, toujours trop courts!
Sauf ce jour-là où grâce à une astuce couture de la vendeuse, Marion trouve enfin "le" jean qui lui plait et lui va! Ce jean, qu'elle a baptisé "Jim", Marion ne le quitte plus, sauf le temps de le laver. Alors quand, à la cantine, elle renverse son plateau sur elle, juste devant Grégory, le garçon le plus beau du collège dont elle est amoureuse en grand secret, c'est la catastrophe. Tout ce fragile équilibre, difficilement élaboré, s'effondre, et s'aggrave quand Marion grandit encore et que Jim s'avère à son tour trop court.
Pour elle cependant, Marion a son goût pour les arts plastiques, le dessin auquel elle s'adonne tous les mercredis après-midi, et sa meilleure amie Charlotte. C'est avec elle d'ailleurs qu'elle réalise son exposé sur "La ronde de nuit", le fameux tableau de Rembrandt, pour lequel elles obtiennent la meilleure note de 20/20 avant de partir, dans le cadre d'un voyage scolaire, trois jours à Amsterdam visiter la ville, son musée et la maison d'Anne Franck, cette jeune fille juive cachée avec sa famille et décédée en déportation. Le choc, l'émotion liée à cette visite, puis celle ressentie devant le tableau du peintre hollandais font s'interroger la jeune fille sur ce qui est réellement important dans la vie. Qu'est une question de taille face à ces destins, tragique pour l'une, grandiose pour l'autre? Surtout quand il s'avère également que Grégory ressent les mêmes émotions, partage le même goût que Marion pour l'art et Rembrandt. Face à tout cela, finalement, la taille a bien peu d'importance...
Ce roman de Sophie Adriansen, paru aux éditions Slalom en 2016, attend depuis bientôt deux ans que je le lise. Mais, à sa parution, il a été présenté et grandement plébiscité sur la blogosphère littéraire. Et, comme toujours, la crainte m'a saisie. Et si je ne l'apprécias pas? Alors j'ai attendu, le remontant régulièrement à la cime de ma PAL pour ne pas l'oublier complètement. Et tous les jours, depuis presque deux ans, il me regardait et soupirait quand ma main prenait un autre ouvrage, sous lui. Jusqu'à mardi où je me suis enfin décidée à l'ouvrir. Le bon moment?
Sans doute puisque la rencontre, la vraie, a enfin eu lieu. De suite j'ai été en empathie avec cette jeune Marion, sa grande taille, les railleries subies à longueur de journée au collège, son attirance muette pour un garçon qui ne la voit pas ou ne semble pas la voir, ce refuge qu'elle trouve dans l'art et le dessin (pour moi, c'était les livres et la lecture!). Tout ceci, Sophie Adriansen l'aborde et le traite avec une grande pudeur et une profonde sensibilité. Il ne manque rien dans ce récit. L'amitié y a la part belle. L'humour y est très présent. Le respect, le devoir de mémoire y sont valorisés (et ces jours-ci, ils revêtent un caractère encore plus fort et prenant). Et bien sûr tout ce qui touche à cette étape délicate qu'est l'adolescence, les complexes forcément éprouvés face aux transformations naturelles du corps, les premiers émois amoureux, y son évoqués avec un naturel confondant et une belle confiance.
Très heureuse d'avoir enfin lu ce roman à mettre entre toutes les mains, les jeunes et les moins jeunes.