Ce feu qui me dévore
Quand j'ai lu la dédicace apposée à mon intention par Paul Couturiau sur son nouveau roman "Ce feu qui me dévore" paru dans la belle collection des Terres de France des Presses de la Cité, j'ai eu peur. "Vous tenez entre vos mains un pan de ma vie", disait-il en substance. Et j'ai eu peur. Oui, j'ai eu peur de tomber sur une histoire trop vraie, trop intime, de lire quelque chose qui, peut-être, ne me concernait pas. Mais c'était vraiment sous-estimer le talent de l'écrivain car nul nombrilisme ou égocentrisme dans cette histoire. Et d'ailleurs ce n'est pas Paul qui parle, c'est Bernard. Bernard Bertin qui revient 30 ans après l'avoir quittée de manière tragique et dramatique dans sa ville de Metz pour assister à l'hommage funèbre rendu à son père.
30 ans, c'est long. Surtout quand, comme Bernard, on a été accusé, à tort ou à raison, mais accusé et condamné à une peine d'emprisonnement pour le meurtre de sa mère survenu dans l'incendie qu'il a, ou aurait, mis à la demeure familiale. Ces 30 ans, et les années qui les ont précédés, on les découvre par bribes lors de troublants allers-retours entre passé et présent. Histoire de nous faire partager pleinement ce que fut la vie de Bernard jusqu'à cette fameuse nuit vécue à l'âge de 18 ans, sa mise en accusation, l'inculpation, les années d'emprisonnement et celles qui ont suivi son retour à une vie "normale". Une vie qu'il traverse à travers celles de ses personnages dans l'écriture de ses romans. Car Bernard est devenu écrivain...
Imaginez maintenant une blessure, une brûlure que vous vous faites à la main disons. Sur cette brûlure, vous posez une gaze pour la protéger et lui permettre de cicatriser. Mais la brûlure persiste. Alors vous la recouvrez d'un pansement, une sorte de bandage qui l'enveloppe plus largement. Vous voilà rassuré, tranquille. Sauf que ça brûle toujours. Vous le sentez, la ressentez. Et ce qu'il y a de mieux à faire, pensez-vous, c'est de la plâtrer. Avec un plâtre, il y a de l'épaisseur, ça isole, ça protège complètement. Vous voilà sauvé! Mais pas guéri.
Car sous l'épaisseur de cette protection, vous sentez la présence de cette brûlure. Oh! Pas en continu. Mais parfois un geste, une attitude, un mot la réveille et vous ne savez plus quoi faire pour vous en parer. Peut-être suffit-il alors simplement (mais est-ce seulement simple?) de la libérer, de la remettre à l'air pur pour qu'elle parvienne à se refermer complètement. Enfin...
Cette blessure, cette brûlure, ce "feu qui le dévore", Bernard, c'est au coeur qu'il l'éprouve. Ce drame, la mort de sa mère, puis celle de son père, la responsabilité qu'on lui en a attribué, il les porte en lui de manière diffuse et indélébile. Ce n'est pas sans émotion donc qu'il se retrouve devant la stèle parentale qu'il n'avait encore pas eu l'occasion de voir. Ce n'est pas sans émotion qu'il retrouve sa ville de Metz, son amie et son amour de jeunesse, Alexandra, et qu'il s'expose aux regards curieux, aux sous-entendus, aux propos malsains, ceux qui se murmurent derrière son dos et qui s'interrompent brusquement quand Bernard arrive.
Sauf qu'à présent Bernard ne baisse plus les yeux, l'homme qu'il est devenu ne se replie plus sur lui-même dans une attitude d'auto-protection. Il est là. Il revient avec le regard droit, franc, comme apaisé, ou presque...
Ce roman, ce n'est pas celui d'une vengeance ou d'une revanche. C'est celui d'une réhabilitation, d'une guérison portant juste l'espoir d'une convalescence. Je ne vous dirai pas qu'il est beau, ni qu'il est fort, ni qu'il nous bouleverse. Il va bien au-delà porté comme il l'est par l'écriture maîtrisée de Paul Couturiau. Et si j'ai eu peur avant de commencer ma lecture, cette peur s'est envolée dès les premières pages. Ce n'est pas avec Paul que je suis. C'est Bernard que je suis. Et cela change tout. Cette brûlure, ce feu dévorant, c'est celui de Bernard. C'est avec cet homme qu'on le ressent. Et cette prouesse littéraire, c'est grâce au talent indéniable de Paul Couturiau qu'on peut l'éprouver et la vivre. Par le rythme que l'écrivain impose à l'histoire. Par la palette d'émotions auxquelles il nous confronte et par ce besoin essentiel de justice et d'équité qu'il sait si bien nous faire ressentir.
Lire "Ce feu qui me dévore", ce n'est pas un conseil de lecture. C'est une évidence.