Dahlia noir & Rose blanche
De Joyce Carol Oates, j'ai déjà essayé de lire "Mudwoman" mais ne suis pas parvenue à aller jusqu'au bout tant la noirceur de ce roman m'a impressionnée, me laissant une impression malsaine et oppressante qui m'a tellement troublée que j'ai préféré abandonner cette lecture.
N'aimant pas rester sur un sentiment d'échec (pour moi, ne pas pouvoir terminer une lecture, surtout dans ces conditions, me laisse un goût amer en bouche que j'essaie d'effacer dès que c'est possible), j'ai retenté avec "Cher époux", un recueil de nouvelles dont je suis venue à bout à force de persévérance et d'obstination, le prenant et le reposant quand le besoin se faisait vraiment sentir. Ce qu'un recueil de nouvelles permet beaucoup mieux qu'un roman! Cependant, là encore, la noirceur de cette écriture m'a impressionnée. Terriblement.
Et j'en suis désormais convaincue après avoir lu ce recueil qui vient d'être réédité en version poche chez Points "Dahlia noir & Rose blanche". D'une part, il m'est beaucoup plus agréable de lire Joyce Carol Oates en nouvelles et d'autre part j'ai rarement vu une écriture aussi forte, aussi belle, aussi puissante et cette maîtrise parfaite de la nouvelle, sauf peut-être chez Alice Munro, Prix Nobel de littérature en 2013, excusez du peu!
De ce recueil, je retiens en particulier la première nouvelle, celle qui lui a donné son titre "Dahlia noir & Rose blanche". Non pas parce que les autres sont moins bien (au contraire, elles méritent toutes un billet chacune et rien ne dit que je n'en ferai pas), mais parce qu'elle nous met en présence de Marilyn Monroe, avant que sa carrière ne démarre vraiment et que cette nouvelle perspective vaut à elle-seule son pesant d'or.
A cette époque, Marilyn s'appelle encore Norma Jeane Baker. Elle partage une chambre avec Elisabeth Short dans un Hollywood en pleine effervescence, grouillant de jeunes femmes toutes plus sexy les unes que les autres et aspirant à la célébrité qui les mettra pour de bon à l'abri du besoin. Toutes les deux ont la vingtaine. Fille unique, Norma Jeane n'a jamais connu son père, a été brinquebalée de droite et de gauche par une mère fantasque et a même déjà été mariée. Ce qui n'est pas le cas d'Elisabeth, dite Betty, qui vient d'une famille de cinq enfants qui a connu l'opulence et la ruine suite au crash boursier de 1929. C'est à ce moment-là d'ailleurs que son père a mis les voiles, se faisant porter disparu et laissant l'éducation de ses filles à son épouse qui n'a jamais pu se remettre, ni accepter, cette situation. A l'opposé de sa colocataire, Betty a connu son père, dans son enfance, et tout récemment lorsqu'elle a osé reprendre contact avec lui.
A Hollywood, si Norma Jeane joue la carte de l'ingénue, de la prude jeune femme, allant jusqu'à se faire appeler "Rose blanche", cela ne l'empêche pas, entre deux essais pour des films, de poser pour des calendriers, nue sans doute aussi, bien qu'elle le nie farouchement. De son côté, Betty joue sans aucune honte sur la provocation, s'habillant toujours en noir et acceptant bien volontiers son surnom de "Dahlia noir".
Cette nouvelle qui les met toutes deux en notre présence commence avec la disparition de Betty, qui a fait faux bond à Norma Jeane alors qu'elles devaient se présenter ensemble à un nouveau casting mais dont l'absence inexpliquée commence à sérieusement inquiéter cette dernière. Jusqu'à ce qu'on découvre ce corps atrocement mutilé dont l'identification permettra de reconnaître Betty Mars.
L'originalité de cette nouvelle se trouve dans sa construction-même. Tout ce que je viens de vous en dire, nous le découvrons après coup. Comme un film qui commence par le jugement d'un procès et que tous les protagonistes, chacun à leur tour, y compris Betty, prenne la parole et évoque sa vie, sa relation avec la victime, son opinion sur elle aussi, son émotion à l'annonce du crime et des conditions de son exécution, de ce qui s'est passé pendant l'enquête, lors du procès et juste après le verdict. Comme une reconstitution minutieuse et personnalisée où chacun s'exprime : Betty, Norma Jeane et le photographe qui les a mises en contact avec le meurtrier, sans qu'elles le sachent ou faisant comme si.
Et cette construction nous prend par surprise et nous tient en haleine jusqu'à la dernière phrase.
Ce qui attise encore la narration, c'est l'emploi, inhabituel pour moi, de l'esperluette, visible dans le titre et très très présente tout au long des récits de chacun. Comme s'ils étaient à bout de souffle, devant parler, soulager leur conscience afin de pouvoir tourner la page de cette dramatique histoire au plus vite.
Du très grand art vraiment!