Trois femmes en noir
En ces tous premiers jours de printemps 1990, sur une plage reculée de Port-Louis, près de Lorient, en Bretagne, gît le corps sans vie d'une jeune fille. C'est d'abord Chim, jeune garçon d'une vingtaine d'années, un peu "simplet", qui la découvre, reconnait son amie Eugénie, légèrement attardée comme lui, et s'enfuit, complètement paniqué et bouleversé. Puis ce sont deux vieilles femmes, Marguerite et Fanch, pêcheuses à la palourde, qui "tombent" sur le corps, l'identifient également et alertent la gendarmerie.
A côté du corps dénudé d'Eugénie Le Livec, trois lettres L, O, U et une croix tracée dans le sable, orientent immédiatement l'enquête des gendarmes vers le Saint-Louis, chalutier de Louis Le Tennier, et de ses hommes, Louis Kerjean et Louis Forner, respectivement fils de Mauricette Le Tennier, époux de Lucie Kerjean et frère de Rozenn Forner. Mais, en l'absence du chalutier non rentré au port et des hommes injoignables par radio, ces soupçons ne peuvent être vérifiés et, le jeune Chim également sur la liste des présumés coupables s'étant réfugié dans un silence complet et protecteur, les doutes qui pèsent sur les trois marins prennent très vite de l'ampleur et se répandent dans toute la petite ville comme une traînée de poudre, même si l'autopsie révèle qu'Eugénie n'a pas été violée comme la découverte de son corps portait à le croire. Il n'en reste pas moins que la jeune fille a été tuée de trois coups de couteau et ce n'est pas l'enquête des gendarmes qui piétine tant et plus qui va pouvoir changer l'opinion devenue quasi générale. Les trois hommes, ou au moins l'un des trois protégé par les deux autres, sont coupables et c'est la raison pour laquelle ils ne rentrent pas.
Dès lors les trois femmes n'ont plus qu'une solution, tenter, avec leurs petits moyens, de faire jour sur cette triste histoire, afin de laver l'honneur de leurs hommes et retrouver leur dignité bafouée. A leur tour, elles se mettent alors à étudier l'emploi du temps d'Eugénie dans les heures et jours qui ont précédé son meurtre, son travail de femme de ménage au musée, les quelques fréquentations, y compris Chim, qu'elle avait... Mais force est pour elles de constater que chaque piste les mène dans une impasse, sauf à tourner autour du musée et de la statuette d'une impératrice chinoise, Li, pour laquelle Eugénie s'était prise d'affection. Mais pourquoi? Et dans quel but? Et quel est donc ce fameux lien qui manque à toute cette histoire?
Voici un roman qui ne manque pas d'intérêt. D'abord pour la découverte de cette Bretagne, un peu sauvage, de ses paysages, de son atmosphère, de sa météo aussi calme qu'elle peut être violente. Et puis pour cette enquête, ce crime odieux que personne, ni les gendarmes, ni les trois femmes, n'arrive à résoudre. La première piste, indiquée par les galets, est bien trop simple, bien trop évidente quelque part pour être prise au sérieux trop longtemps par les forces de l'ordre. Mais il n'empêche qu'elle fait son chemin, au point de mettre ces trois femmes innocentes, elles pour le coup, au ban de la société, de détourner les regards quand on les croise, de murmurer dans leurs dos. Une situation terriblement désagréable et injuste.
Car personne (ou presque) ne se demande ce qui a pu vraiment arriver aux trois marins, pourquoi ne rentrent-ils pas, même après plusieurs semaines? Seules, ces trois femmes, une mère, une épouse, une soeur, continuent d'avoir confiance en leurs fils, mari et frère, s'interrogent sur ce qui a pu se passer sur le chalutier et ce qui l'empêche de rentrer au port.
Il faudra toute la force de l'imagination de l'écrivain Daniel Cario pour nous révéler les tenants et les aboutissants de cette sordide histoire. Avec une finesse d'analyse, tant des caractères, des comportements, des attitudes des uns et des autres, il nous offre une histoire passionnante, à l'intrigue des plus savoureuse et nous démontre d'une main de maître et avec style combien il peut être facile de tromper son monde et de falsifier d'emblée une scène de crime, laissant alors la voie ouverte aux mauvaises langues et à la mauvaise foi!
Cet excellent roman, signé Daniel Cario, est paru dans la belle collection des Terres de France des Presse de la Cité.