Le maître du Castellar
Ouvrir un roman de Françoise Bourdon est à chaque fois un vrai bonheur! Outre l'assurance de lire une belle histoire, passionnante, richement documentée; très instructive, c'est aussi la joie de retrouver cette si belle écriture, une aisance à toute épreuve pour nous faire partager les heurs et malheurs de ses protagonistes, ce qui les motive, leurs parcours et pour nous faire découvrir de superbes paysages, porter un regard autre sur une région qu'on croit connaitre et qui, sous les mots de Françoise Bourdon, se révèle tellement riche d'anecdotes, de précisions, de détails historiques qui prennent dès lors un nouveau sens.
Ce nouveau roman, "Le Maître du Castellar", paru chez Calmann-Lévy dans la belle collection France de toujours et d'aujourd'hui, ne fait pas exception à la règle et, même, la conforte davantage encore tellement cette histoire foisonnante nous émeut, nous bouleverse et nous éblouit.
Cette histoire, c'est celle de Noémie Valade, jeune veuve, écrivain, qui rencontre à point nommé, alors qu'elle se trouve en bien mauvaise posture, le beau et fier Frédéric Marescot, nouveau propriétaire du mas du Castellar, récemment hérité de son cher oncle, Jules Marescot, dans cette région de Camargue. Nous sommes alors en 1883. Autant Noémie que Frédéric, pour des raisons et des motivations qui leur sont propres, tiennent à leur indépendance. Pourtant le sentiment qui les unit, cet amour qui les relie dans leur mariage, même si Noémie croit, à tort ou à raison, être la seule à l'éprouver, est bien là, bien présent et va se consolider par les épreuves, les joies, les bonheurs et les drames qu'ils vont connaitre au cours des trente et quelques années de leur union qui s'achèvera brutalement à la mort de Frédéric en ce triste jour de 1916.
Et de fait, ici, c'est bien de Frédéric Marescot dont il est question. Le "maître du Castellar", de toute évidence, c'est lui. Lui... et Noémie. Lui dont nous suivons et partageons l'existence à travers les yeux, la voix et la vie de Noémie. C'est ce qui, pour moi, fait toute la force et la qualité de ce roman. La voix que l'auteur donne à Noémie, prioritairement, et en la confiant, de temps en temps, aux autres protagonistes, Frédéric en tête, quand la situation l'exige, quand l'émotion est trop forte, quand l'épreuve traversée devient par trop douloureuse.
Car, bien sûr, cette union de deux fortes têtes, comme tout mariage qui se respecte, connaîtra son lot d'épreuves et de bonheurs. La vie n'est un long fleuve tranquille ni pour Noémie et Frédéric, ni pour les lecteurs. C'est rassurant. Des épreuves, le couple va en traverser une terrible lors de la perte de leur premier enfant, le fils tant désiré par Frédéric. Puis une autre, presque aussi douloureuse lorsque Camille, leur fille aînée, fuira le mas du Castellar, par amour et par passion, pour devenir ce que Frédéric et Noémie, abhorrent : torera!
Leurs bonheurs, ce seront les naissances de Camille donc, puis de Raphaël, la rencontre de Noémie avec le grand Frédéric Mistral, la réussite et la renommée que Frédéric apportera enfin au Castellar et à son nom, à force de patience et d'endurance.
Voilà en quelques mots ce qu'est l'histoire de ce "Maître du Castellar". Mais, plus encore, c'est le regard que Françoise Bourdon nous invite à porter sur ce monde singulier des manades camarguaises et des manadiers, bien loin de l'univers terrible et terrifiant de la tauromachie espagnole. Tout ce vocabulaire, toutes ces règles, tous ces codes, Françoise Bourdon nous les distille avec adresse et nous laisse nous en imprégner de manière à ce que nous, lecteurs, soyons à même ensuite de faire la part des choses et d'en tirer l'enseignement voulu. Et cette pratique, cet art littéraire, Françoise Bourdon le possède assurément et le dispense sans en avoir l'air, et toujours à bon escient.
"Le Maïtre du Castellar", une belle histoire, ancrée dans l'Histoire et dans cette magnifique Camargue, un formidable destin de femme, un bouleversant parcours d'homme, et un roman passionnant à découvrir...