La Tresse
C'est avec ce premier roman de Laetitia Colombani "La Tresse", paru chez Grasset, que je termine mes lectures de la sélection des 68 premières fois pour la rentrée littéraire de janvier dernier et marque une pause dans cette belle aventure humaine, de partage et d'amitié autour des livres.
Une tresse, c'est la forme qu'on obtient en entrelaçant des brins, des fils, des rubans, des ... cheveux aussi. La Tresse ici, celle que nous conte Laetitia Colombani, c'est l'histoire de trois femmes, trois destins, trois parcours qui n'ont tien en commun, singuliers, personnels et qui pourtant vont se trouver réunis par un lien fragile, ténu, mais très présent, et même essentiel, vital.
Il y a d'abord Smita, jeune femme vivant en Inde avec son mari, Nagarajan, et leur fillette âgée de 6 ans, Lalita. Tous trois habitent à Badlapur. Smita est une Intouchable. C'est à dire qu'elle appartient à la caste la plus basse, la plus pauvre, la plus misérable de la société indienne. Celle à qui sont réservés les plus vils travaux.
Il y a ensuite Giulia, qui vit à Palerme en Sicile, Italie, avec ses parents, sa jeune soeur lycéenne, et sa soeur aînée, mal mariée et toujours présente au sein de la famille. Giulia a 20 ans, est très proche de son père, patron d'une usine de triage et d'entretien des cheveux, la dernière du genre, et dans laquelle la jeune femme travaille au côté des autres ouvrières, devenues ses amies.
Et puis il y a Sarah, 40 ans, mère d'une fille de 12 ans et de jumeaux, plus petits, qui vit à Montréal, Canada. Sarah est une avocate hors pair, très talentueuse, qui a gravi les échelons de sa société, un à un, qui traite aujourd'hui les dossiers les plus délicats et les plus importants. Tout est bien réglé, à sa place, compartimenté, dans la vie de Sarah. Sa famille, ses enfants, d'un côté, son travail, ses dossiers, de l'autre.
Comme vous le voyez, ces trois destins n'ont absolument rien en commun. Pourtant, par la force et la grâce de son écriture, par son imagination subtile et ingénieuse, Laetitia Colombani va trouver le lien qui va les réunir, à leur insu, à la nôtre aussi, un lien universel, un lien personnel, un lien évident.
C'est Smita, qui rêve d'un destin autre que le sien pour sa fille, qu'elle veut inscrire à l'école afin qu'elle bénéficie de l'instruction qui lui permettra de changer de condition sociale. Smita, contrainte de fuir avec son enfant, pour espérer y parvenir.
C'est Giulia, confrontée à l'accident du "Papa" et à sa découverte de la faillite qui menace l'usine paternelle. Giulia sur les épaules de qui, d'un coup, repose l'avenir de la famille. Giulia qui va devoir aussi trancher entre un mariage arrangé qui permettra de mettre sa mère et ses soeurs à l'abri du besoin et l'amour qu'elle éprouve pour Kamal, jeune Indien de religion Sikh, qu'elle vient de rencontrer.
C'est Sarah, rattrapée par son histoire familiale, confrontée, comme sa mère quelques années plus tôt, à la maladie, ce cancer du sein qu'elle va vouloir cacher à ses enfants et à sa société et devoir combattre en même temps que la mise à l'écart sournoise, implacable et sans pitié que lui imposent ses collègues, associés et son employeur.
Entre ces trois femmes, un lien, un fil, un petit quelque-chose qui nous parait très futile, dérisoire, un rien du tout et qui pourtant se révèle capital et porteur d'un immense espoir et de vie. Ce lien, c'est la force de ce roman émouvant, sensible et délicat, empreint d'un profond respect pour ces femmes qui souffrent, qui subissent et dont on ne dit rien. Jamais. Ces femmes qui vivent en silence et pour qui une simple "tresse" prend la forme d'un véritable miracle.