Outre-Mère
J'avais très envie de lire ce premier roman de Dominique Costermans, ayant déjà eu le plaisir d'apprécier son écriture dans ses recueils de nouvelles "Petites coupures" (paru chez Quadrature) ainsi que "Nous dormirons ensemble" et "Y'a pas photo" tous deux parus aux éditons Luce Wilquin, tout comme ce premier roman. Aussi quand j'ai vu qu'il faisait partie de la sélection de janvier 2017 des 68 premières fois, j'ai été vraiment ravie!
Ce roman, c'est à la fois une histoire de filiation, de recherches de ses racines, pour savoir d'où l'on vient et avoir la possibilité ensuite de tracer sa propre route. Mais c'est aussi une histoire de relations entre une mère et sa fille, comprendre ce que l'on transmet (ou pas) en tant que parent à ses enfants, en tant que mère à sa fille. Et là, j'étais deux fois plus intéressée!
Depuis toute petite, Lucie se heurte au silence lourd et intentionnel de sa mère, Hélène. Et elle n'a de cesse que de vouloir percer ce mur que celle-ci a érigé autour d'elle, pour se protéger d'un passé trop dur, trop lourd, et pour protéger aussi la famille qu'elle a à son tour construite. Le secret, honteux, qui gâche ainsi cette vie de famille, l'auteur l'écrit dès les premières pages du roman. La personne dont il ne faut pas parler chez Lucie, c'est son grand-père, Charles Morgenstern, juif, résidant à Bruxelles, combattant dans l'armée allemande puis engagé comme indicateur au service de la Gestapo pendant les sombres années de guerre. Un rôle et une activité guère reluisantes qui pèsent sur les épaules des proches de Morgenstern et que tous et toutes veulent oublier, quitte à effacer l'existence même de cet homme et père.
Mais est-ce seulement possible?
Sans y répondre catégoriquement, Dominique Costermans réussit cependant à nous ouvrir des portes, à nous suggérer des pistes de réflexion. Et cela, en accompagnant simplement le cheminement emprunté par Lucie. De fait, on n'a pas envie de savoir, puisqu'on sait déjà qui était ce Charles Morgenstern dont il ne faut jamais parler. Mais on a envie de savoir comment Lucie va l'apprendre, ce que va lui laisser entendre sa mère, Hélène, ce qu'elle va glaner de part et d'autre et qui va forcément nécessiter des explications ou, pour le moins, quelques mises au point.
Et ce qui m'a le plus interpellée dans cette histoire (qui reste bien sûr un roman), c'est le rôle d'Hélène. Fille de Charles et mère de Lucie. Fille écrasée et rongée par la honte, murée dans son silence, ne surtout pas se dévoiler, ne surtout rien dire. Et femme ayant à son tour transmis la vie, ayant prolongé l'histoire de sa famille en devenant mère. Comment, dans ces conditions, peut-elle aider sa fille à se construire en lui refusant une part de ses origines? Il faut vraiment beaucoup d'amour de part et d'autre, beaucoup d'affection, d'attentions l'une envers l'autre, pour que la première parvienne à accepter enfin ce père indigne et que la seconde passe "outre" cette barrière, ce mur transparent mais bien réel et puisse aller au-delà.
J'ai été un peu surprise par le style de la narration dans la première partie de ce roman, un peu trop confus, ne sachant plus très bien par moments qui parle et à quelle époque et puis la sauce a pris et j'ai littéralement englouti la suite, happée par cette belle réflexion sur la transmission. Quel héritage, quelles valeurs, quels fondamentaux se transmet-on de père en fils, de père en fille, de mère en fils, de mère en fille? Ce qu'on pense bien et nécessaire à un instant T l'est-il vraiment? Ce qu'on peut faire à un moment clé de notre existence, parce que les circonstances nous l'imposent, parce que cela nous semble être le seul choix possible à ce moment précis, est-il judicieux? Ne concerne-t-il que nous? Et que va en faire notre descendance? Saura-t-elle et pourra-t-elle vivre avec?
Sans nous offrir de vérité toute faite sur un plateau, ce roman a le mérite de nous interroger et de nous poser les bonnes questions. N'est-ce pas cela en fait le rôle de la littérature?
Je compte aussi cette lecture pour Le mois belge chez Anne et Mina.