Les parapluies d'Erik Satie
Il est des livres, des romans, comme des personnes. On les rencontre. On les apprécie. Ou pas...
Avec ce premier roman de Stéphanie Kalfon, la rencontre a eu lieu, et bien lieu. Plusieurs jours après avoir dégusté cette écriture si belle et si fine, il ne m'a pas quitté. Il est là, toujours présent en moi, et je pense qu'il va y rester encore longtemps. Il est arrivé dans ma vie à point nommé, comme une heureuse nouvelle, à ce moment terrible (et terrifiant) où j'ai eu très envie d'envoyer tout promener, de refermer la porte et de ne surtout pas la rouvrir...
Ces jours difficiles, je les espère désormais derrière moi. Même si je sais pertinemment qu'il y en aura d'autres, et certainement plus douloureux encore. Mais ceux-là, je veux les oublier. J'ai toujours aimé lire, et cette fois encore, la lecture m'a aidé, et en particulier la lecture de ce roman (et ma famille aussi, et en premier, bien sûr).
Ce roman, premier de Stéphanie Kalfon, lu dans le cadre des 68 premières fois (et je remercie sincèrement Charlotte, Nicole, Eglantine et Sabine pour ce soutien qu'elles m'ont ainsi apporté sans s'en rendre compte) est paru aux éditions Joëlle Losfeld. Il nous fait remonter le temps et nous ramène en 1901, à la rencontre du musicien Erik Satie, qui n'a pas encore composé, loin s'en faut, l'oeuvre qu'il nous laissera plus tard.
En cette première année du XXe siècle, Erik Satie a 34 ans. Pauvre, sans véritable revenu, il vient de louer une petite chambre, misérable, en banlieue parisienne, où il essaie tant bien que mal de composer sur l'un ou l'autre des deux pianos désaccordés qu'il a pu y rapporter et surtout où il vit, entouré de 14 parapluies qui ont la particularité d'être tous semblables. Dans cet univers plutôt triste et sordide, le jeune homme se laisse porter par une certaine mélancolie, teintée de la nostalgie du temps passé et des belles années vécues sur la Butte Montmartre où, même s'il n'était pas plus riche, au moins s'y sentait-il bien et en phase avec les artistes qu'il côtoyait tous les jours, notamment à l'auberge du Chat Noir.
De fait, pour fuir cet univers de tristesse qui l'entoure désormais, Satie boit, et trouve un peu de réconfort autant au fond de la dive bouteille que dans le regard qu'il porte sur les gens qu'il rencontre à présent. Et c'est cet environnement-là que l'auteur, Stéphanie Kalfon, nous fait découvrir et partager. Avec un talent d'écriture étonnant, sincère et bouleversant.
Cette ambiance nous étreint et nous imprègne. Elle nous prend à la gorge, nous enserre et nous retient. On la sent et on la ressent. Comme si on la respirait vraiment. De même cette analyse que l'auteur nous propose sur la vie parisienne de ces tout premiers mois du XXe siècle nous pose question. La pertinence des propos n'est pas sans nous ramener étrangement à aujourd'hui. Peut-être parce que l'Histoire, quoi qu'on en dise, reste un éternel recommencement. Peut-être parce que la culture et l'art sont toujours les premiers délaissés lorsque le monde se dérègle.
Je n'ai pas de réponse à cela. Je sais juste que Stéphanie Kalfon a trouvé avec ces "Parapluies d'Erik Satie" un bien joli moyen de nous interroger et de nous alerter. Encore faut-il à présent que nous soyons très nombreux à l'écouter...