Les soeurs Ferrandon
C'est toujours un plaisir de retrouver des personnages et leur histoire qui nous ont sincèrement émus. Un plaisir mêlé de crainte cependant. Vont-ils encore nous émouvoir? Ce qui leur arrive à présent sera-t-il aussi fort, aussi bouleversant que ce qui nous a tellement touché auparavant?
Ecrire une suite à un roman constitue un pari assez risqué pour un écrivain.
Pourtant ce pari-là, Gérard Glatt l'a relevé haut la main avec "Les soeurs Ferrandon", suite de "Retour à belle étoile", suite indépendante nous précise la quatrième de couverture mais suite quand même, ces deux romans étant parus dans la collection Terres de France des Presses de la Cité.
Deux années ont passé depuis ce jour dramatique de la disparition du petit Paulin sur les berges de la Dore en 1953. Le temps semble faire son oeuvre, comme on a l'habitude de dire, mais ni Marguerite, ni Renée n'oublient leur petit frère. Et ce n'est pas non plus leurs différences de caractère qui pourraient les rapprocher et les aider à surmonter cette terrible épreuve. Et les années s'écoulent, doucement mais inexorablement.
Marguerite, l'aînée des soeurs Ferrandon, reprend l'exploitation du domaine familial comme si cela allait de soi. Un "droit" d'aînée qu'elle doit assumer. Ce qui l'arrange plutôt bien d'ailleurs. Sa jeune soeur, Renée, plus douce, plus réservée aussi, comme écrasée par l'autorité naturelle de Marguerite, préfère quitter la propriété familiale auvergnate des monts du Forez et suivre son mari à Paris où elle pourra (peut-être) enfin se réaliser.
Tout porte à croire dès lors que chacune va vivre indépendamment l'une de l'autre. La première dans la rudesse de cette vie à la campagne qu'elle s'est imposée d'autorité. La seconde un peu perdue entre la légèreté et les coups bas de cette vie parisienne. Et pourtant... Peut-on tirer un trait définitif sur une enfance commune? Peut-on réellement oublier d'où l'on vient et qui on est vraiment? Et cela davantage encore quand un drame familial reste ancré en nous et qu'une ancienne rivalité amoureuse de jeunesse portée sur la personne de Jean Chassaigne semble constamment remonter à la surface des coeurs des deux soeurs? Comme une blessure toujours pas cicatrisée.
Je vous l'ai dit en commençant cette chronique, Gérard Glatt a brillamment relevé le défi de la suite imaginée pour ces soeurs Ferrandon. J'ai eu grand plaisir à retrouver ces deux femmes qu'on suit de leur jeunesse et sur une bonne période de leur vie d'adultes, l'une ayant fait le choix de la terre, l'autre s'étant envolée (enfuie?) vers les fastes de la Ville Lumière.
Avec patience et une fine analyse, Gérard Glatt nous dresse deux magnifiques portraits féminins, un peu comme les deux faces d'un miroir mais où rien n'est jamais fixé. Ni blanc, n noir. Ni l'une foncièrement mauvaise, ni l'autre totalement innocente. Mais toujours avec des degrés variés, comme s'il nous déclinait toutes les nuances allant du blanc le plus pur au noir le plus sombre, le plus obscur.
Et puis le rythme créé par les événements qui remplissent une vie, les aléas, les joies, les tristesses, et le souvenir d'un temps révolu sur lequel nul ne peut revenir...
Et de fait, dans ce roman, l'authenticité est reine. Et le vrai plaisir de lecture, au rendez-vous.