Une bouche sans personne
Juste avant mon grand week-end parisien et LA rencontre des 68 premières fois, j'ai lu "Une bouche sans personne" le premier roman de Gilles Marchand (présent lors de la fabuleuse soirée). Roman paru chez Aux Forges de Vulcain et pour lequel j'ai eu (encore) un gros coup de coeur, ce dont je remercie (encore!) Charlotte, Nicole, Eglantine et Sabine car il aurait été vraiment dommage que je passe à côté de cette belle lecture.
Son titre d'abord m'a surprise. "Une bouche sans personne", c'est drôle mais j'ai imaginé un visage avec seulement une bouche, pas d'yeux, pas de nez, rien. Juste une bouche. Comme dans certains dessins animés un peu futuristes, avant-gardistes. Et pourtant il n'en est rien. Ce serait même plutôt le contraire!
Ce roman, c'est un lieu. Un café. Celui que tient Lisa et où se rejoignent, chaque fin de journée, le narrateur et ses amis Thomas et Sam. Assez vite, on devine que le narrateur, celui qui n'a pas de visage, qui aspire à rester discret, caché derrière son écharpe, est amoureux de Lisa. Mais il ne le dit pas. Jusqu'à ce fameux soir où, une tasse de café malencontreusement renversée, l'oblige à se découvrir, à retirer son écharpe en la déroulant petit à petit et, au fur et à mesure qu'il se dévoile ainsi, commence le récit de sa vie. Celle de son grand-père d'abord, Pierre-Jean, puis des uns et des autres, ceux qu'il a côtoyés brièvement ou plus longtemps, des souvenirs oubliés, d'autres tellement enfouis qu'on a l'impression qu'ils arrivent seulement maintenant, au moment où cet homme les raconte. Et peu à peu on se laisse prendre au jeu. On ne sait plus si on est dans la réalité ou dans un rêve. Les mots agissent. Et c'est ce qui rend ce récit particulièrement émouvant. On n'a pas envie que cela s'arrête. On veut continuer à écouter ces petites histoires qui, mises bout à bout, nous révèlent un univers farfelu, drôle, parfois triste et nostalgique, mais toujours beau.
Peu nous importe alors que le narrateur soit un tel ou tel autre, qu'il ait un nom ou pas. Ce qui prime aux yeux des lecteurs, c'est cette voix qui parle et qui fait abstraction du corps et de tout le reste, cette "bouche sans personne" qui devient une personne.
Il y a beaucoup de poésie dans ce roman, beaucoup de tendresse, beaucoup d'émotions et il est bien difficile d'y résister. Tout du moins, moi, je n'ai pas su résister. Surprise au début, oui. Intriguée, aussi. Charmée, assurément.
Et, au fait, cette cicatrice que l'homme tenait tant à cacher sous son écharpe, d'où lui vient-elle? Et ce poème qu'il a toujours sur lui, que vient-il faire dans sa vie bien ordonnée de comptable? Les réponses à ces deux questions, fondamentales, je vous les laisse découvrir en lisant ce magnifique premier roman. Car, bien sûr, vous allez le lire.