Un paquebot dans les arbres
C’est bien de moi, ça ! S’inscrire aux Matchs de la Rentrée littéraire 2016 organisés par PriceMinister. Choisir son livre. Le recevoir. Le lire, s’en émouvoir et puis… se dire que la date de rendu des chroniques est loin, que j’ai le temps... Lire encore, vivre d’autres émotions, vivre d’autres aventures littéraires, les partager et… oublier cet engagement, oublier cette fameuse date qui me paraissait tellement lointaine. Mais, et c’est heureux, et c’est une des magies de la lecture, de la littérature, n’avoir rien oublié de ce bouleversant roman signé Valentine Goby "Un paquebot dans les arbres" pour les éditions Actes Sud. Et retrouver, intactes, ces émotions, ces mots qui m’ont touchée au cœur, et qui sont restés là, bien présents, enfouis certes mais pas oubliés, cette écriture si belle, si juste, si précise, qui fait que chaque phrase porte, chaque chapitre conforte ce sentiment et nous imprègne davantage, nous enveloppe et nous emmène loin, pile là où voulait aller l’auteur, avec nous.
Ce roman si beau, si fort, cette histoire bouleversante d’humanité, c’est avec Mathilde qu’on la découvre, qu’on la suit, qu’on la partage, qu’on la vit…
Dans les années 1950, Paul "Paulot" et Odile Blanc tiennent un café épicerie tabac "Le Baltot" à La Roche-Guyon en région parisienne. Un lieu où l'on a plaisir à se retrouver pour prendre un verre, un café, faire ses courses, discuter, commenter l'actualité, un lieu animé où il fait bon vivre et où grandissent Mathilde, 9 ans, deuxième fille du couple Blanc avec Annie, sa soeur aînée, et son petit frère, Jacques, le fils tant attendu. Une place au milieu qui indispose un peu Mathilde, lui donnant le sentiment, parfois, d'être "de trop".
Cet univers joyeux et sans souci bascule quand Paulot tombe. Malade. Le diagnostic : c'est la tuberculose. Contagieuse. Très vite, Odile l'attrape aussi. Il faut les isoler. Ils iront au sanatorium, le "bateau" du titre, puisque, Valentine Goby nous l'apprend, c'est ainsi qu'on appelait ces établissements médicaux à cette époque. Les enfants sont placés. Mathilde et Jacques vont vivre chez des familles d'accueil. Pour combler les dettes qui se sont accumulées, il faut vendre le Baltot. Un déchirement de plus pour la famille disloquée.
Une vie de misère commence pour Mathilde, contrainte de grandir vite, très vite, trop vite, de s'endurcir. Jusqu'au jour où elle n'en peut plus de cette vie et décide d'en finir. Par chance, se rate. A son réveil, elle est autre, plus déterminée que jamais à garder sa famille unie et à rendre le Baltot à son père, cet homme qui a tout perdu et qui, malgré tout, garde espoir et confiance en sa cadette, elle qu'il surnomme affectueusement son "petit gars".
Ce roman, c'est une déclaration d'amour d'une fille à son père. C'est aussi l'histoire d'un drame. Terrible. Un de ceux dont on ne se relève pas ou avec beaucoup de mal. Mais c'est également l'histoire d'un combat, acharné, une lutte trop grande, un défi hors de portée qui, pourtant, sera relevé. Et de quelle manière!
Très vite on se laisse emporter par Mathilde. On vit avec elle. On grandit. On se désespère et on espère. Sa confiance, sa détermination nous collent et nous poussent à y croire, avec elle. A l'impossible, nul n'est tenu, semble nous dire Valentine Goby. Même quand tout semble perdu, définitivement, il reste cette part infime, ce filet de volonté qui fait corps avec Mathilde et, par voie de conséquences, avec nous.
L'écriture est magique, sublime. Le récit, dense et foisonnant. Rien ne nous est épargné dans cette descente aux enfers et, encore moins, dans cette remontée vers l'air pur. Peu à peu, sous nos yeux de lecteurs, Mathilde devient femme. Et quelle femme! Elle connait son premier amour, s'ouvre à la vie. Mais pas n'importe laquelle. La vie qu'elle veut, elle. Une vie où sa famille prendra sa part. Et c'est beau. Tellement beau. Si magnifiquement beau...