De nos frères blessés
Les 68 se suivent et ne se ressemblent pas. Autant j'ai "souffert" avec "Les bonnes mœurs", autant ce premier roman de Joseph Andras, paru chez Actes Sud et primé du Goncourt du Premier Roman, m'a séduite, émue, bouleversée.
En 1956, à Alger, Fernand Iveton, 30 ans, des idées d'indépendance pour son pays et des revendications plein la tête, pose une bombe à l'intérieur de son usine. Si cet acte semble (et est) brutal dans les faits, l'idée de Fernand n'est pas de tuer ou blesser des gens, ses collègues de travail en l'occurrence, mais d'alerter et de symboliser de manière concrète son état d'esprit. C'est d'ailleurs dans cette intention qu'il pose sa bombe à l'écart des ateliers, pour qu'il n'y ait pas de victimes. Malheureusement pour lui, son acte est connu et Fernand est arrêté avant que sa bombe n'explose. Il n'a alors commis aucune violence, aucun crime. Son unique culpabilité se situe dans sa seule intention de sabotage. Pourtant il sera condamné à mort.
Dès les premières pages, dès les premiers mots, j'ai su que ce roman allait me toucher, m'émouvoir. Je n'imaginais pas à quel point cependant. D'une écriture fine et précise, Joseph Andras nous confronte de suite à son histoire, à Fernand, ses idées, sa vie d'ouvrier mais aussi sa vie d'homme, d'époux, et surtout cet altruisme immense, démesuré qui ne le quitte pas, pour lequel il revendique et pour lequel il mourra. Et c'est là, à mon avis, que se trouvent la force et la qualité de ce roman. Dans cet humanisme et dans cette humanité, même quand celle-ci devient inhumaine.
Car si on suit Fernand dans son acte terroriste (il faut bien nommer ainsi la pose de la bombe), très vite on entre en empathie avec lui. On subit son arrestation. On vit son emprisonnement, ses interrogatoires, son procès. Mais pas seulement. Joseph Andras nous le rend encore plus proche en évoquant son enfance, sa jeunesse dans cette Algérie colonisée, sa rencontre avec celle qui deviendra sa femme, leurs rêves partagés, la déchirure et la séparation évidente mais tellement brutale, leur espoir, ténu certes mais pourtant toujours bien présent; Et puis cette violence gratuite, intolérable bien sûr et qui nous parait tellement injuste.
Je n'ai pas aimé simplement ce roman, je l'ai ressenti, éprouvé, presque vécu même, à travers les mots de Joseph Andras, à travers les émotions et la palette que l'auteur crée, insuffle, étend.
On ne sort pas de cette lecture dans le même esprit que celui dans lequel on y est entré. C'est impossible. Forcément on prend fait et cause, on s'engage. Pour Fernand certes. Mais aussi pour nous, pour un monde meilleur, plus juste.
Je ne peux pas dire que ce roman est un coup de cœur, mon sentiment va tellement au-delà. Ou alors un énorme, un immense coup de cœur! Et je ne remercierai jamais assez Charlotte, Nicole et Eglantine pour cette bouleversante découverte.
Cette lecture compte aussi pour le Défi Premier roman de Daniel.