Une famille normale
Première lecture pour les 68 premiers romans initiés par Charlotte, Nicole et Eglantine et premier coup de cœur pour ce roman dont le titre ne pouvait que m'interpeller, moi qui suis à la tête d'une famille nombreuse : "Une famille normale".
Qu'est-ce qu'une famille normale? nous demande en substance Garance Meillon, l'auteur de ce premier roman paru chez Fayard. Qu'est-ce que la normalité? Et où la trouve-t-on? Comment la reconnait-on? Certainement pas (à mon humble avis) au sein de la famille composée de Cassiopée et Damien et de leurs enfants Lucie, 16 ans, et Benjamin, son cadet de 3 ans.
C'est Cassiopée, la mère, qui prend la parole en premier le jour où Emmanuelle, l'infirmière qui veille sur sa mère, lui apprend le décès de cette dernière. Une disparition à laquelle Cassiopée s'attendait mais qui n'en demeure pas moins brutale. Se prépare-t-on vraiment à la mort d'un proche? d'un parent? Personnellement, je ne le pense pas. Mais visiblement ce n'est pas le cas de Cassiopée qui, raccroche le téléphone, et reprend ses occupations ménagères là où elle les a interrompues, avec méthode et précision. Efficace comme toujours. Aucune émotion n'affleure. Cassiopée n'a pas la moindre larme. On pourrait penser qu'elle reste insensible à cette nouvelle, de marbre, froide. Et c'est une impression que sa famille, son mari, ses enfants ressentent eux aussi, en s'exprimant chacun à leur tour. Belle femme, Cassiopée semble n'être qu'une image, telle ces mannequins sur papier glacé qu'on peut admirer dans les magazines de mode.
Et c'est bien là que le bât blesse, que la fêlure se glisse. Car, contrairement à ce que cette image lisse pourrait nous inviter à penser, Cassiopée est bel et bien émue par la mort de sa mère. Les souvenirs affluent, remontent à la surface de cette vie bien rangée où tout est codifié, organisé, sans nulle place pour l'imprévu. Alors Cassiopée se laisse surprendre, absorber, s'affole, perd tout contrôle d'elle-même et sur sa famille. Et les lettres que sa mère lui a écrites et qu'elle découvre en vidant son appartement aggravent encore ce ressenti de perdre pied. Rien ne va plus pour Cassiopée, pour Damien, et pour les enfants, Lucie et Benjamin confrontés eux aussi à leurs difficultés d'ados.
Je vous l'ai dit, j'ai eu un véritable coup de cœur pour ce roman. Pour la façon dont l'auteur a organisé son récit, en confiant la parole à chacun des membres de cette famille qui, je le répète, pour moi n'a rien de "normale". Enfin... jusqu'à un certain moment!
Pour son intensité également. Malgré toute l'insensibilité, le détachement, la froideur, dont Cassiopée s'entoure et se protège, l'émotion est omniprésente, nous saute à la gorge à chaque page. On voudrait s'en prendre à cette femme, belle image sur papier glacé, et on ne le peut pas. Comme Damien, son mari qui l'aime démesurément. Comme ses enfants qui, malgré les affres de leur adolescence, ont toujours besoin d'elle et de son affection. Comme elle-même, petite fille triste, grandie trop vite, dans une solitude, un repli sur soi volontaire, dans sa volonté de se protéger contre les peines que la vie, sa mère? lui a imposées et qu'elle a tout fait pour oublier.
Une merveille de sensibilité que ce roman. Une lecture forte, à la fois glaçante et tendre, bouleversante avec laquelle je participe aussi au Défi Premier roman organisé par Daniel.