Rien, plus rien au monde
Quand j'ai la chance (et je reconnais que cela m'arrive assez souvent) de découvrir un nouvel auteur et d'être conquise dès ma première lecture, j'aime approfondir ma découverte et le lire à nouveau. Quand, en plus, comme Massimo Carlotto, il se trouve que cet auteur écrit diaboliquement bien, je reste définitivement conquise.
Ce court roman (ou longue nouvelle, comme on veut) de tout juste 60 pages "Rien, plus rien au monde" paru en 2004 en Italie et en 2006 dans sa traduction française chez Métailié Noir, à la fois me confirme dans cette approche et me permet de participer à nouveau au thème de ce mois de mars pour le challenge Il Viaggio d'Eimelle sur l'Italie du Nord.
"Rien, plus rien au monde", c'est ce que répète sans arrêt cette femme, dont on ne saura pas le nom, comme une litanie, comme un repère, pour réaliser que plus rien ne sera comme avant désormais, parce qu'elle a commis l'irréparable, le pire acte qui se puisse commettre.
Avec son mari et sa fille "la petite" comme ils continuent de l'appeler alors qu'elle a désormais 20 ans, cette femme, cette mère vit dans une banlieue dortoir de Turin. Enfin... survit serait plus exact. Sans métier, elle travaille comme femme de ménage tous les jours chez deux familles depuis que son mari s'est retrouvé au chômage. Sa paye n'est pas grosse, loin, s'en faut, et il faut compter, tout compter, y regarder à deux fois avant de se lancer dans un achat autre que le strict nécessaire. Bien sûr son mari effectue aussi quelques missions. Il est travailleur. Mais tout ceci demeure très précaire, toujours en équilibre sur un fil. Alors quand sa fille décide d'arrêter ses études et se fait embaucher pour distribuer des paquets en mobylette, cela pourrait être une aubaine. Mais non! Elle, sa mère, a d'autres ambitions pour sa fille. Belle comme elle est, elle la voit artiste vedette de cinéma ou, au moins, participer à une émission de télé-réalité, elle y réussirait certainement et très bien, ou sinon femme potiche au côté d'un présentateur de jeux télévisés. Alors quand sa fille tombe amoureuse d'un tunisien, parle de faire sa vie avec lui, c'en est trop pour elle. Surtout qu'en plus elle ne voit rien du salaire de sa fille que celle-ci dépense à tort et à travers. C'en devient trop, trop lourd à supporter, trop lourd à vivre.
Elle avance en âge. Bientôt elle ne pourra plus faire ses ménages. Et qui, à part sa fille, pourra subvenir à ses besoins, assurer son quotidien s'il n'y a plus d'argent? Parce que, même si elle vit chichement, cette vie, c'est la sienne. Elle y tient, ainsi qu'aux quelques petits plaisirs qu'elle s'accorde, comme aller faire le tour des boutiques juste pour regarder, ou boire un petit verre de Vermouth avant le repas. Sans argent, sans ressources, même ça lui sera ôté. Et alors là, oui, rien, plus rien au monde ne sera pareil. Mais n'est-ce pas déjà le cas à présent?
Un texte court, fort, qui nous frappe en plein coeur. Un monologue qui nous entraîne dans ce que notre âme a de plus noir, dans une perspective qu'on ne peut même imaginer, tellement elle est inconcevable. La limite entre ce qu'on peut accepter et ce qu'on ne peut pas, ou plus, est tellement fine qu'il en faut peu, très peu, pour que tout change, pour que tout bascule, pour que tout soit bouleversé, à jamais, pour que "rien, plus rien au monde" devienne le seul leitmotiv, le seul horizon.