Le temps des silences
Outre son titre qui constitue déjà en soi un appel à le lire très tentant, ce roman de Claude Mossé "Le temps des silences" nous attire définitivement par sa dédicace "En hommage posthume à l'inconnu(e) qui, en ordonnant à ma famille de quitter Paris dans l'heure, le 15 juillet 1942, m'a permis de vivre pour écrire ce livre." De suite, on sait que ce roman paru aux Presses de la Cité va nous parler de la Seconde Guerre Mondiale, sa quatrième de couverture finissant de nous convaincre!
Ce n'est un secret pour personne, je suis irrémédiablement attirée par toutes les lectures se rapportant à cette sombre période de notre Histoire. Mais si, en plus, j'ai l'occasion d'en découvrir des aspects jusqu'alors peu ou pas connus (par moi!), je fonce encore plus vite. Aussi quand je lis en résumé que Claude Mossé va nous parler de cette guerre par son côté suisse, et revenir en même temps sur "l'affaire Grüninger" (affaire dont j'ignorais tout), je sais que cette lecture va me passionner. Et tel a bien été le cas.
Comme tout le monde, je savais que la Suisse avait encore gardé sa neutralité pendant ce conflit mondial. Je savais aussi que nombre de juifs, pour fuir l'Allemagne nazie, y avaient soit trouver refuge, ou pour le moins permis à de nombreuses personnes de transiter par la Suisse avant de poursuivre leur route vers les Etats-Unis ou Israël.
Mais ce que je ne savais pas, et qui m'a profondément horrifiée, c'est, qu'au nom de sa neutralité, la Suisse a refoulé tant et plus de personnes de confession juive hors de ses frontières, livrant inévitablement ces personnes aux forces nazies. Le pire étant, sans doute, à mes yeux, de découvrir que même l'association des Juifs installés en Suisse a obéi à ces règles et refusé d'accueillir ses coreligionnaires en fuite.
Dans ce roman, Claude Mossé, historien de formation, grand reporter radio et TV, analyse tous les aspects de cette non-implication imposée par la neutralité dans un pays placé au centre d'un conflit mondial, replié et refermé sur lui-même, à l'abri de ses frontières.
"L'affaire Grüninger" dont nous fait état Claude Mossé concerne le commandant de police du canton de Saint-Gall, le capitaine Paul Grüninger, qui, dès la mise en application de l'Anschluss en 1938, a permis à de nombreux juifs allemands et autrichiens d'entrer en Suisse, n'hésitant pas à antidater leurs passeports et à leur trouver des lieux d'hébergement, pour leur sauver la vie, tout simplement.
Dans ce récit, romancé néanmoins, il est épaulé par Martha Stahler, juive allemande épouse du banquier Eugen Stahler qui la trompe avec sa camarade d'université Frédérika, dévouée corps et âme à la cause nazie. De nombreux rebondissements vont permettre à ces trois protagonistes, et aux personnages secondaires, de se marquer ou démarquer au rythme du récit. Mais ce qui importe par-dessus tout, c'est le destin-même du capitaine Grüninger, les ruses et astuces dont il doit faire preuve pour pouvoir agir sans attirer l'attention de ses supérieurs, ses inquiétudes au fur et à mesure que l'étau se resserre, sa loyauté et son altruisme, son dévouement, son humanisme et son humanité. Chaque aspect de sa personnalité est analysé avec sérieux et en toute honnêteté. Tout comme l'auteur, on ne peut plus que déplorer le fait que cet homme au courage et à l'héroïsme exemplaires soit mort, en 1972 à l'âge de 80 ans, dans une grande misère et sans avoir été réhabilité de son vivant.