Le bal des folles
J'ai bien peur de le répéter souvent. Chaque lecture faite pour la sélection automne hiver des 68 premières fois est à la fois une belle découverte associée à un grand plaisir de lecture. C'est encore le cas avec ce premier roman de Victoria Mas, Le bal des folles, paru fin août chez Albin Michel.
En ce 3 mars 1885, c'est l'effervescence à l'hôpital de la Salpêtrière où se prépare le fameux bal costumé et masqué annuel auquel médecins, personnel soignant, patientes et gens "biens" de la bonne bourgeoisie parisienne participent avec plus ou moins d'envie. Ce soir-là, pendant que les "sains d'esprit" côtoient sans savoir quelles sont celles qui vivent derrière ces murs à longueur d'année (ce qui semble ajouter un brin de folie douce ou de perversité supplémentaire), le docteur Charcot, initiateur de ce grand bal dansant public, en profite pour étudier chaque comportement individuel, personne et surtout aucune n'étant à l'abri d'une "déviance psychologique".
C'est ainsi qu'on fait connaissance avec Louise, Eugénie, Thérèse et de quelques autres patientes. Toutes sont enfermées dans cet hôpital pour des raisons purement médicales ou psychiatrique ou par la force des choses, parce que la vie leur a joué de bien vilains tours et que, seules, rejetées par leurs familles et de fait condamnées par la société bien-pensante de l'époque, elles n'ont pu éviter cet enfermement de force.
C'est le cas de Louise, violée par son oncle et victime de crises d'angoisse terrifiantes qui veut devenir LA patiente modèle, mais aussi celui d'Eugénie qui possède ce don étrange de pouvoir communiquer avec les personnes disparues ou décédées, ce qui la fait vraiment prendre pour folle par son père. C'est aussi le cas de Thérèse qui, malgré un tempérament résolument optimiste, n'a pas eu d'autre choix pour se sortir de la violence et de la prostitution que de pousser son mari et souteneur dans la Seine, la vie à l'hôpital étant préférable à celle en prison. Du moins c'est ce qu'elle s'obstine à croire!
Et je vous parle à peine de Geneviève entièrement soumise au docteur Charcot et dont les comportements et prises de position soulèvent bien des interrogations à nos yeux de lectrices du XXIe siècle.
J'ai vraiment apprécié cette lecture portée par une écriture fluide, très agréable à suivre, me faisant passer du sourire aux larmes, d'indignations en incrédulités et me laissant le constat amer que si, chez nous en France, les choses ont considérablement évolué, ce n'est hélas pas le cas de partout dans ce monde.
Car à travers ce premier roman (qui reste un roman) empreint d'histoire, Victoria Mas nous parle avec talent de la toute puissance masculine sur les femmes qui a dominé l'Histoire pendant des siècles, de ce droit de vie ou de mort qu'ils ont eu sur elles, de cette obéissance "sacrée" jamais remise en question alors, justement parce que les conséquences en étaient dramatiques, de l'impossibilité pour les femmes de disposer d'elles comme elles l'auraient souhaité (même pour les mieux loties) et de tout ce que les femmes ont dû combattre depuis la Première Guerre mondiale pour être enfin reconnues comme individus à part entière.
Un très bon premier roman qui, si je me fie à mes quelques recherches, a déjà été primé!