Stazione termini
Aujourd'hui, lundi, c'est aussi jour de la bonne nouvelle à partager. Alors pour allier ce challenge au mois italien qui commence, en ce 1er mai, j'ai lu, en VO, une très bonne nouvelle de Fabio Stassi "Stazione termini" parue en 2015 chez Sellerio Editore, dans le recueil collectif "Storie dalla città eterna" et proposée à l'unité en offre spéciale sur le site de l'éditeur en fin de semaine dernière.
Je n'avais encore rien lu de cet auteur italien dont, pour l'instant, un seul roman a été traduit en français "La dernière danse de Charlot" et j'ai été agréablement surprise par son écriture, à la fois douce et tendre envers ses personnages mais également portée par un regard ironique et acerbe sur nos façons d'être, nos manières et nos raisonnements.
Imaginez, une gare, celle de Rome en l'occurrence. Comme dans tous ces importants lieux de passages, la foule s'y presse, qui sur le point de partir, qui arrivant, qui accompagnant... Parmi cette foule, ce soir-là, trois jeunes étudiants venus disputer un important tournoi de baseball et quatre personnages se remarquent : ce lieutenant militaire qui rejoint son unité après une permission assez longue; cet homme, passager régulier empruntant le même train de banlieue matin et soir depuis des années pour se rendre à son travail dans la capitale italienne; cette femme d'un certain âge qui se rend à Bologne où elle doit retrouver sa fille presque au terme de sa grossesse et qu'elle va assister pour la naissance et les premiers jours de vie de ce premier petit-enfant; et cette jeune femme, jolie, portant des bottes noires, qui arrive, essoufflée sur le quai, soulagée, heureuse presque de constater que son train est annoncé avec 15 minutes de retard.
Or, et c'est là le plus curieux, chaque train devant entrer en gare est tour à tour annoncé en retard, des retards de plus en plus longs, jusqu'à finalement disparaître, l'un après l'autre, du panneau électronique qui devient fatalement noir. Dans la gare, c'est l'incompréhension générale. Que se passe-t-il? Certains imaginent le pire. Un attentat a eu lieu. D'autres font courir le bruit d'une grève intempestive du personnel ferroviaire. Nul n'a de réponse en fait, et même pas l'agent qui a osé se risquer au milieu de cette foule grossissant à vue d'oeil. Car au côté des voyageurs restés à quai se sont joints ceux des trains suivants, et ceux encore des autres trains suivants. Chacun gardant jalousement sa place pour être le premier à embarquer quand son train arrivera, les yeux rivés au panneau électronique qui, malgré quelques soubresauts créant d'incroyables mouvements de foule, reste désespérément noir.
Alors, tandis que d'un commun accord les trois étudiants sortent de la gare et partent à la découverte de Rome, le lieutenant, le passager régulier, la dame âgée et la jeune femme se regardent, s'interrogent et, finalement, décident de rester ensemble, dans cette gare, quitte à y passer la nuit... Mais à quel prix?
J'aime beaucoup ces situations où, à un moment donné, dans un lieu commun, des personnes se rencontrent fortuitement parce que les événements les y contraignent. C'est ce qui se passe ici et c'est raconté avec tact, délicatesse, sensibilité, et un réalisme parfois glaçant. Car, bien sûr, chaque protagoniste a sa vie bien (ou mal) rangée, et doit faire avec. Ici, le lieutenant s'interroge sur cet engagement qu'il a pris et qui lui pèse de plus en plus. Le voyageur travailleur se demande si, finalement, il va manquer à sa famille quand il ne rentrera pas chez lui comme tous les soirs. La dame, future grand-mère, pense à cet enfant à naître, à sa fille qui devient mère et à la place qu'elle-même va occuper à présent dans sa famille. Et la jeune et jolie femme en bottes noires, après s'être réjouie du retard de son train qui lui offre une bonne explication à donner à son mari, se remet en cause également : elle en a assez de se cacher pour vivre sa liaison avec son amant et de ses rendez-vous dans de petites chambres d'hôtels à Rome, cela ne lui apporte rien si ce n'est d'avoir à constamment chercher des prétextes pour s'y rendre et de devoir se justifier auprès d'un mari, que, elle le comprend ce soir, elle n'aime plus.
Je ne vous dirai pas comment se termine cette histoire, si les trains annoncés vont finalement arriver, les décisions ou les acceptations que chacun/chacune va être amené(e) à prendre ou à suivre. Je me contenterai de vous dire que la vie est ainsi faite que d'un imprévu peut parfois surgir un changement, quelque chose de bon (ou pas). Et qu'une gare reste un bon endroit pour prendre un nouveau départ ... ou pas!