Soeurs ennemies
Je vous le disais ici. Samedi matin, j'ai eu le grand bonheur de trouver ce recueil de nouvelles, Le cri du héron, signé Marie-Paul Armand pour la collection Terres de France des Presses de la Cité. Joie triple puisque, outre le fait d'avoir trouvé le seul ouvrage de Marie-Paul Armand non encore lu (j'ai lu tous ses romans et autres recueils de nouvelles sur sa chère région du Nord), cette lecture me permet de participer aux deux groupes Facebook que je viens de proposer "Le Terroir du mois" et "La bonne nouvelle du lundi". Et, comme nous sommes lundi, c'est bien pour ce dernier groupe que je vous parle ce matin de ces "Soeurs ennemies", grande nouvelle de quelques 70 pages, inscrite au sommaire de ce recueil "Le cri du héron" qui en compte six avec "Le journal d'Olivier", "Une conquête difficile", "Un Noël sans frontière" et "La fugue de Sandrine". Six nouvelles, six histoires différentes dans lesquelles on retrouve avec grand plaisir les thèmes que Marie-Paul Armand a toujours défendu : son Nord bien sûr, mais aussi son Histoire (notamment celle des XIXe et XXe siècles avec ses conflits et les souffrances subies), et la vie au quotidien de sa population, de ces gens, humbles, qui en font l'Histoire justement.
Alors ces "Soeurs ennemies", qui sont-elles?
Henriette, la jeune quarantaine, institutrice, mariée à Jérôme avec qui elle a eu ses trois enfants : Stéphane, Béatrice et Laurence, est très surprise le jour où elle reçoit une lettre de sa soeur Aurore, sa cadette de 6 ans, qui vient de se séparer de son mari américain, Scott, et lui annonce sans ambages son retour en France et son installation chez elle, le temps qu'elle retrouve ses marques et en particulier un travail qui lui permettra ensuite de chercher un appartement. La surprise d'Henriette est d'autant plus grande qu'elle et Aurore ne se sont jamais entendues et n'éprouvent aucune affection l'une envers l'autre. Et même, au contraire, leur relation est plus proche de la rivalité, toujours entretenue par leur mère à présent décédée.
Dès lors les souvenirs remontent à la mémoire d'Henriette : sa situation de "bâtarde" (sa mère ayant été abandonnée par son père à l'annonce de sa grossesse), le mariage de celle-ci avec Maurice cinq ans plus tard, la naissance d'Aurore, joli bébé à qui elle doit laisser sa chambre, les reproches maternels quand Henriette se plaint de ce que sa soeur lui prend et casse ses jouets, dont sa belle poupée Blondine. A l'adolescence, les premiers amoureux qui "craquent" pour Aurore dès qu'Henriette les présente à sa mère. Ses études universitaires restées à l'état de projet lorsque Maurice meurt subitement. Son entrée dans la vie active comme enseignante alors que Aurore, elle, est promise aux plus belles études. Sa rencontre avec Jérôme et son mariage qui coïncident avec celui d'Aurore avec Scott et son départ aux Etats-Unis avec leur mère. Et puis le silence. Plus aucune nouvelle. Jusqu'à cette lettre. Et les craintes d'Henriette.
Craintes justifiées car, dès son arrivée, Aurore se comporte en terrain conquis, mettant en un rien de temps les enfants d'Henriette de son côté, minaudant auprès de Jérôme, se comportant comme une reine à qui tout est dû. Une telle situation peut-elle durer? Surtout qu'Aurore s'y complaît et ne cherche pas vraiment de travail. Et la question qui nous taraude depuis le début reste posée. Jusqu'où peut-on aller? Qu'est-on prêt à accepter par devoir familial et fraternel?
Je ne vais pas vous conter la chute de cette nouvelle, surprenante et inattendue, comme toute nouvelle littéraire parfaitement maîtrisée. Je ne vous dirai pas, non plus, quelle réponse apporte Marie-Paul Armand à cette question lancinante dans le récit et essentielle pour nous tous.
Je vous dirai simplement que j'ai eu grand plaisir à lire cette nouvelle et ce recueil, émouvant par bien des côtés, véritable coup de projecteur porté sur cette région et authentique analyse de la famille des années 1950-1960.